Un Big Mac sur la place Rouge
Photo : Max Alexis Fortin-Landry
Marche solitaire. Je me dirige vers la place Rouge, au centre de Moscou, bordant le mur est du Kremlin. Il fait sombre et il pleut: parfait.
En marchant, je me remémore ce que je connais de l'histoire soviétique depuis le dernier Romanov et la révolution bolchévique: l'espoir, Lénine, les grandes réformes agraires, la misère des paysans, les ratées du communisme imposé, les famines, la terreur stalinienne, les purges, les camps et le goulag, les morts. Les millions de morts. D'abords les ennemis (ou anciens amis) du régime, puis les intellectuels, puis ceux coupables d'avoir une opinion qui n'est pas calquée sur la doctrine officielle, puis ceux soupçonnés d'avoir une opinion tout court et finalement, au prix du gros: des quotas de personnes imposés aux villes et villages de toute l'Union soviétique.
Je me remémore l'incorporation de nations souveraines et diverses dans une machine qui se veut monochrome et l'ironie de l'idéologie d'une révolution devenue le dogme d'un totalitarisme absolu. Rendu ici, même Lénine doit se retourner dans son mausolée. (À moins que je n'idéalise le bonhomme.) Mais toute bonne chose ayant une fin (et avec la favorisation du militarisme aux dépends du développement?), la peinture s'écaille, le mur se fracture et le rideau tombe (ha ha).
En repérant les tours et le haut mur ceinturant le Kremlin, un autre souvenir me revient: celui de ma mère me disant, jadis, qu'il y a maintenant un restaurant McDonald’s sur la place Rouge. Je décide de le trouver. Il est en fait à 100 pieds du rempart nord. Je prends un trio, bien que je n'en aie pas envie. Parce que je veux célébrer cette liberté nouvelle, contemporaine de la dernière génération de Russes. Car leurs parents et leurs aïeuls se souviennent peut-être du quotidien dicté par une élite anti-élite (!) au sein d'un empire despotique se drapant d'un idéal de bien commun et d'égalité.
On pourrait dire que la référence est insignifiante si on la compare au reste de la Russie moderne, mais la présence d'un McDo à un jet de pierre du Kremlin est à mes yeux une belle métaphore du triomphe d'un certain paradigme économique sur un autre. D'où l'origine de ma réflexion et de mon appétit. Le capitalisme est loin d'être rose et je suis toujours pressé d'y faire grief mais il est bien meilleur au goût (façon de parler.)
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