En paix... et armés jusqu'aux dents
C’est l’histoire d’un gars soupçonné de terrorisme. On l’arrête, on le soumet à des « techniques d’interrogatoire renforcées », telles le simulacre de la noyade (« waterboarding »), la privation de sommeil. Il passe des jours enfermé, nu, dans une boîte plus petite qu’un cercueil. Il perd un œil. On finit par conclure que, finalement, il n’a rien à voir avec ce dont on l’accuse. Mais comme on préfère que les techniques d’interrogatoire et les lieux où elles ont été pratiquées demeurent secrets, on décide qu’il restera enfermé et incommunicado, jusqu’à la fin de ses jours.
Ceci n’est pas de la science-fiction
Science-fiction ? Dystopie ? Non. Hélas non. Cette histoire est signée: made in USA. Et comme bien d’autres de même nature, elle trouve son origine dans la tourmente post 11 septembre 2001. Le gars, c’est Abu Zubaydah, un Palestinien né en Arabie saoudite, soupçonné d’être un cadre d’Al-Qaida, arrêté par l’armée américaine en 2002 au Pakistan, transféré dans une prison secrète de la CIA, « Detention Site Green », en Thaïlande, puis une autre, « Detention Site Blue » en Pologne. En 2006 il est remis entre les mains de l’armée américaine et transféré à Guantánamo.
Bien qu’il ne soit plus incommunicado, qu’il soit représenté par un avocat, qu’il ait témoigné devant la Cour européenne des droits de l’homme*, il est toujours détenu à Guantánamo. Il avait 30 ans au moment de son arrestation. Il en a aujourd’hui 47. Et il n’y a toujours aucun chef d’accusation qui pèse contre lui.
Les prisons secrètes de la CIA, ou « sites noirs » (black sites), ça non plus ce n’est pas de la science-fiction. Gina Haspel, la première femme nommée directrice de la CIA, le 17 mars dernier (sa nomination doit être approuvée par le Sénat), a dirigé le « site noir » présumé de la CIA en Thaïlande en 2002-2003. Selon Amnistie internationale, elle a probablement joué un rôle dans la destruction de preuves de crimes relevant du droit international. Mais bon, quand un président s’exprime en faveur de la torture, et encourage les professeurs à porter une arme à feu...
En paix et armés jusqu’aux dents
Les Américains possèdent la moitié des armes à feu dans le monde alors qu’ils ne représentent que 5 % de la population mondiale. Le tiers des fusillades de masse enregistrées dans le monde se passent aux États-Unis. Avec 85 armes pour 100 habitants, c’est le pays occidental où le taux d’armes en circulation est le plus élevé. Un pays, je vous le rappelle, en paix ! (Du moins, sur son territoire.) Un pays où tous les discours se terminent par God Bless America.
Quand on se compare, on se console
Les États-Unis sont aussi le pays occidental développé où la proportion de tués par balle est la plus élevée, soit 2,91 morts pour 100 00 habitants. Au Canada, en 2016, ce taux était de 0,61 pour 100 000 habitants, ce qui constitue le taux le plus élevé enregistré depuis 2005. La Saskatchewan a le taux le plus élevé au pays d’homicides commis au moyen d’une arme à feu, soit 1,48. Ce taux représente un sommet inégalé depuis 1961. Doit-on s'inquiéter ?
Trop c’est trop
Le massacre, le 14 février dernier, de 17 personnes dans une école secondaire de Floride, a été la goutte qui fait déborder le vase pour bien des gens. Le 23 mars, ils étaient plus d’un million dans les rues d’Atlanta, de Chicago, Dallas, Houston, Seattle, Los Angeles, New-York. D’origine spontanée, March for Our Lives, inspirée par les jeunes, est devenue la plus grande manifestation contre les armes de l’histoire des États-Unis.
À Washington, ils étaient 800 000. S’inspirant du célèbre discours de son grand-père, Martin Luther King, Yolanda Renee King, 9 ans, a déclaré: « Je fais un rêve dans lequel trop, c’est trop. Il ne devrait pas y avoir d’armes dans ce monde ».
Des jeunes comme force d'inspiration, et aussi des parents, des grands-parents, motivés par ces jeunes. Grannies for gun control, par exemple. Elles ont marché, elles ont distribué des biscuits en forme de cœur.
«Faisons primer les USA sur la NRA», a lancé David Hogg, un des étudiants porte-parole du mouvement, en appelant à se mobiliser dans les urnes. Espérons qu’ils n’oublieront pas, que ces jeunes et moins jeunes, qui veulent du changement, iront voter en 2020.
* En juillet 2014, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné Varsovie pour son rôle dans les tortures subies sur son territoire, en 2002-2003, par Abu Zubaydah. Selon l’Open Society Justice Initiative, plus de 50 États ont été les complices de Washington pour mettre en place, après les attentats du 11 septembre, le programme des « prisons secrètes », destiné à « placer les interrogatoires des détenus hors d’atteinte du droit ». (Le Monde)
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