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Estelle Bonetto
/ Catégories: Arts et culture, Littérature

Ouvrir la page des Noires Amériques

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Crédit : Roman Trifonov / Unsplash

Le Mois de l’histoire des Noirs offre l’occasion d’aller à la rencontre d’une mosaïque d’imaginaires, de cultures, et de littératures. À cette occasion, le Centre de la francophonie des Amériques (CFA) a ouvert ses portes virtuelles pour accueillir de grandes pointures de la littérature noire américaine, dont l’auteur canado-congolais Blaise Ndala.

Quelque part entre la Guadeloupe, le Congo et Haïti, les États-Unis et le Canada, trois auteurs et un animateur, respectivement Gisèle Pineau, Kettly Mars, Blaise Ndala et Rodney Saint-Éloi, ont fait découvrir à un large public leurs ouvrages, leurs inspirations, leurs histoires individuelles et collectives en ce mois de février

La conversation littéraire du 9 février s’est faite, elle, en compagnie de l’auteur Blaise Ndala, originaire du Congo et établi au Canada depuis 2007, une terre d’accueil qui, selon ses mots, l’a vu naître en tant qu’écrivain.

« L’homme-continents »

Celui que l’animateur de la soirée, Rodney Saint-Éloi, surnomme amicalement « l’homme-continents », est le porte-voix d’une littérature engagée et engageante. Pour preuve, ce sont plus de 500 participants, africains, québécois, allemands, français, franco-ontariens, haïtiens, belges, ou encore américains, qui ont assisté à cet échange.

Cet orfèvre littéraire prend son temps plutôt que de courir après le foisonnement. Sa carrière littéraire ne compte d’ailleurs « que » trois ouvrages, ou « trois événements », selon les dires de Rodney Saint-Éloi. « On sent la phrase de Blaise [Ndala] couler dans le temps », ajoute l’animateur.

En effet, les livres culte de l’auteur canado-congolais ont remporté une foison de récompenses et d’honneurs. Son premier ouvrage J’irai danser sur la tombe de Senghor a été adapté au cinéma. 

Le deuxième, Sans capote ni kalachnikov, a quant à lui raflé le Combat des livres de Radio-Canada en le propulsant parmi les grands noms du monde littéraire ayant élu résidence au Canada, aux côtés des Dany Laferrière et Kim Thúy. 

Enfin, son dernier-né, Dans le ventre du Congo, est déjà monté sur les plus hautes marches du podium du Prix Ivoire et du prix Ahmadou-Kourouma.

L’auteur, également président d’honneur de l’édition 2022 du Salon du livre de l’Outaouais, est une « voix singulière dans la construction du Canada », affirme Rodney Saint-Éloi. Une véritable mémoire de l’Afrique, des hommes et des femmes auxquels ils redonnent une voix, un destin, des rêves.

Les tiroirs de la mémoire

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L’écrivain Blaise Ndala
Crédit : Capture d’écran

Si Blaise Ndala « prend son temps pour coucher ses histoires », selon ses propres mots, c’est que la trame historique qui habille chacune de ses fictions s’attache à défaire les fils tissés serrés de préjugés bien ancrés.

L’étincelle qui lance le bal de chaque ouvrage est toujours une mémoire, une nostalgie, un fait historique, autrement dit une porte ouverte sur un passé peu glorieux. 

Que l’on parle de la dictature du fin stratège Mobutu, président du Zaïre puis de la République démocratique du Congo pendant des décennies, d’un des pères de la négritude en la personne du politicien et écrivain sénégalais Senghor, de la mercantilisation de la pauvreté à travers la coopération internationale et supposée solidarité occidentale envers l’Afrique, ou encore de l’Expo 58 à Bruxelles, théâtre du « dernier » zoo humain, Blaise Ndala entre de plein fouet dans des sujets influencés par la pensée occidentale.

Les interrogations que l’écrivain soulève sont autant de façons d’inverser les rôles. Il ne s’agit pas, comme il le souligne, de « redorer la pilule africaine », mais plutôt d’en révéler les personnages qui l’habitent et qui n’ont pas eu voix au chapitre.

« Il y a une forte tradition qui s’inscrit dans un narratif monolithique et unilatéral dans lequel l’Occident raconte l’Afrique. On n’a qu’à penser à Joseph Conrad et Au cœur des ténèbres qui raconte le Congo sans jamais nommer les personnages, sans jamais les faire parler sauf pour réclamer de la viande humaine », précise l’auteur.

Retourner la caméra

Pour continuer à dénoncer les atrocités dont ont été victimes les peuples africains, Blaise Ndala met le doigt sur des réalités peu reluisantes de nos sociétés occidentales assoiffées d’aventure et d’exotisme. 

Son dernier roman, Dans le ventre du Congo, dévoile les coulisses d’un trafic affreux d’exploitation humaine. Pendant près de deux siècles et demi, des villages du continent africain et leurs villageois ont été expédiés en Europe, contre leur gré, pour « nourrir la curiosité des Occidentaux et démontrer les soi-disant bienfaits de la colonisation pour sortir ces sauvages de leur milieu en vue de les civiliser », relate l’auteur.

Pour Blaise Ndala, ces vérités sont toujours bonnes à dire et ont le pouvoir de « rapiécer notre mémoire commune » par la fiction qui fait le pont avec la réalité. L’homme de mots et d’histoires cite également Kafka qui remarquait que la « littérature a pour essence de transcender les frontières ».

Les conversations littéraires du Centre de la francophonie des Amériques (CFA) sont disponibles en rediffusion sur son site internet. Tous les livres et les auteurs présentés sont également accessibles sur le site de la Bibliothèque des Amériques.

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