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Une nouvelle voie

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Extrait de l’introduction d’un nouveau recueil de haïkus.

Il y a quelques années de cela, j'ai lu La Sagesse des Pères du désert, une petite collection d'anciens dictons chrétiens. La concision et l’humilité de ces dictons m'ont souvent fait penser aux haïkus. En poursuivant mes recherches sur l'antiquité chrétienne, j'ai découvert la Philokalia (l'amour du beau, en grec), une ambitieuse compilation d’anciens textes, courts et moins courts, qui regorgent de conseils spirituels, psychologiques et philosophiques ‘prêts à porter’ en provenance du christianisme ‘oriental’ ou orthodoxe. [1] Avec la Philokalia, j'ai réalisé que la flamme qui a illuminé les cœurs et les esprits des premiers chercheurs du désert a rayonné dans et à travers l'Empire romain byzantin au point d'atteindre l'Amérique du Nord du XXIe siècle. Dès lors, je me suis demandé de quels autres trésors l'orthodoxie chrétienne s’est revendiqué depuis ce temps. Ceci m’a conduit à l’interprétation grecque du Livre des Psaumes.

"De tous les livres de la Bible, [le livre des] Psaumes, plus que tout autre, sort des situations historiques de sa composition, de son contexte antique, et s'impose comme une partie essentielle de notre vie et de la vie de tous ceux qui le lisent."[2] Cela fait écho à saint Athanase d'Alexandrie qui, dans l'Égypte du milieu du IVe siècle, priait quotidiennement le psautier en entier, et, encourageant les autres à le faire, déclarait: "Toute l'existence humaine, tant les dispositions de l'âme que les pensées, ont été mesurées et englobées par le Psautier."[3]

Chaque haïku proposé dans le recueil (plus de 150) émane d’un psaume. Les Psaumes constituent l'essence même de chaque haïku. Inversement, ce projet poétique n'a pas la prétention d'être un commentaire théologique, un texte apologétique, un outil ascétique ou un complément au Psautier. Les Psaumes, que ce soit sur le plan liturgique ou dévotionnel, n'ont aucunement besoin de mes haïkus, et la discipline reliée à l'écriture du haïku nous maintient sur la voie esthétique plutôt que sur la voie ascétique.

Le haïku traditionnel doit prioriser l'expérience esthétique, de peur d'imposer des ‘concepts’ au lecteur. En tant que quête esthétique, le haïku traditionnel utilise des mots concrets pour parler de la nature, s'appuie sur l'observation sensorielle tout en limitant la subjectivité et l'impact linguistique, tout en visant l'unité thématique, en jouant sur les contrastes, dans le but de capturer la fugacité d'un moment.

Le haïku utilise un langage concret et naturel. Dans ce nouveau recueil, je cherche à faire ressortir le caractère concret et le langage naturel des Psaumes, tout en respectant leur registre spirituel, qui fait autorité. Certes, l'irréductible complexité (noétique, formelle, ancienne) des Psaumes m’oblige à adapter et souvent à éloigner mes poèmes du haïku traditionnel, et certains diront du haïku tout court. En effet, la série complexe de thèmes, de modes, de structures et de voix qui tissent en filigrane la tapisserie du Psautier m'a conduit à explorer de nombreuses limites du haïku en cours de chemin. En fin de compte, ces ‘haïkus’ sont peut-être davantage des ‘impressions noétiques.’[4]

 

[1] Dans ce contexte, le terme ‘oriental’ désigne l’Égypte, la Grèce, le Levant, les Balkans, l’Arménie, les pays slaves, etc. – en bref, la chrétienté traditionnelle qui continue de rayonner de par le monde à l’extérieur de l’ombre latine.   

[2] Cours d’études bibliques (sans date). The Psalms as Poetry. Yale Divinity School. Yale University. https://yalebiblestudy.org/courses/psalms/lessons/psalms-of-poetry-study-guide/

[3] Athanase d’Alexandrie, Lettre à Marcellin.

[4] La numérotation entre parenthèse renvoit à la numérotation des Septantes (‘orientale’), tandis que la suivante, sans parenthèse, renvoit à la numérotation massorétique (‘occidentale’).

Illustrations libre d’accès sur : https://orthodoxartsjournal.org/orthodox-illustration-project/

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