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La lune ne disait rien (extrait)

La lune ne disait rien (extrait)
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(Extrait du recueil de nouvelles La trilogie de l’Enrhumée enturbannée de Hélène Daross Ouedraogo)

 

À Monsieur le Président du Tribunal de Grande Instance Borguego - Burkina Faso

Monsieur le Président,

                Je viens, par la présente, porter plainte contre Bila François, résidant à Goudri.

                En effet, tout a commencé ou, devrais-je dire, tout s’est terminé le 3 février de l’année 198…, quand François est venu me retirer ma fille unique Touksida.

                Le temps s’était rafraîchi, les derniers rayons de soleil avaient fini de disparaître derrière la colline du chef. On l’appelait ainsi parce que, vue de loin, elle ressemblait à un trône. Les feuilles des arbres susurraient sous l’effet du vent.

                Toutes les femmes qui avaient été chercher du bois étaient revenues plus tôt que de coutume. Le soleil avait dardé ses rayons comme si c’étaient les derniers qu’ils dispensaient à la terre.

                Le bois n’avait jamais été aussi sec. J’en avais chargé un bon fagot que je comptais revendre afin de procurer à ma fille Touksida les sandales dont elle avait besoin. J’ai porté ce fardeau avec amour. Lorsque je l’ai déchargé, le torticolis avait déjà fait ses effets. Mon cou était raide. Ce qui m’intriguait, c’était le caméléon que j’avais vu à deux reprises.

                Et puis, en une journée, j’ai entendu le miaulement d’un chat, le hululement de la chouette et l’aboiement d’un chien. Je me suis refusée à cette superstition. Pourtant, elle a eu raison de moi. L’inquiétude m’avait envahie. Je pressentais que d’une douleur je serais atteinte, mais que faire ? Laquelle des douleurs ? Je ne le savais !

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Hélène Daross Ouedraogo Crédit: Courtoisie

                A peine revenue de ma fatigue, j’entendis un bonsoir sonore. Mon cœur fit un bond. Ma respiration s’arrêta puis reprit, saccadée. Je compris alors ce qu’avait voulu dire l’infirmier, lorsque, ayant examiné le corps inerte de Ladji Noufou, il avait révélé qu’il était mort d’excès de joie, à cause de la venue de sa quatrième épouse. Il avait ensuite ajouté que le cœur pouvait aussi lâcher à cause d’une peur subite ou d’une inquiétude profonde.

                Je reconnus cette voix ; elle s’était alourdie mais je la reconnaissais. C’était celle de François.  Je me rappelai mon intuition. Le sort était scellé. La sueur perla sur mon front. François se tenait là avec deux autres hommes : ses frères que je connaissais. Ma mère était sortie. J’étais seule dans la concession avec ma fille.

« Suelgo Poko » dit-il « tu as quelque chose qui m’appartient ».

« Es-tu sûr ? »

« Absolument… aurais-tu perdu ta mémoire d’éléphant ? »

                Il était là, visage et poings crispés. Un peu vieilli, mais toujours aussi trapu, aussi ringard. Sa veste m’aurait fait rire en d’autres circonstances. Elle ressemblait à celle que portait « Capitaine Tinga », l’unique ancien combattant du village.  Il les appelait zazou, on ne savait trop pourquoi. Le vent, de temps en temps, soulevait la zazou que portait François. D’ailleurs, il avait une allure de « vieux nègre et de médaille ». Je me demandais ce que j’avais bien pu lui trouver. Ses dents semblaient trotter dans sa bouche. Le cola qu’il mâchait lui donnait un air rancunier.

                La lune était notre témoin. Elle avait déjà entamé sa course dans le firmament noir. Elle ne disait rien.

                Lorsque je compris le sens des paroles de François, je ne pus étouffer un cri de détresse, celui de la lionne blessée. Touksida sortit. Tout se passa rapidement. Je courus vers ma fille. Le père me devança. Je m’affalai au sol. L’instant d’après, j’avais dans mes bras ma petite fille qui criait.

                « Lâche-la, Suelgo. Un enfant appartient d’abord à son père. Tu le sais ». (...)