L’Organisation internationale de la Francophonie : rien ne va plus
Michaëlle Jean, qui espérait se voir confier un deuxième mandat en tant que secrétaire générale de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), n’a pas réussi. Lors du 17e Sommet de la Francophonie qui s’est déroulé le mois dernier à Erevan (Arménie), les membres de l’OIF lui ont préféré Louise Mushikiwabo, ministre des Affaires étrangères du Rwanda, élue par consensus.
Certes, des histoires de dépenses jugées excessives ont assombri le mandat de Mme Jean et un changement était probablement souhaitable. Mais le Rwanda? On est perplexe. Quand on regarde la performance de ce pays au chapitre de la promotion de la langue française et des droits de la personne, missions que s’est données l’OIF, on se dit : comment est-ce possible ?
Langue et droits de la personne
Depuis 2010, l’anglais est la langue officielle du Rwanda et de son cursus scolaire. Questionnée à ce propos, Mme Mushikiwabo a déclaré : « C’est aujourd’hui la langue de la Silicon Valley, de la technologie, de la recherche, des réseaux sociaux. C’est une réalité et, par ailleurs, l’essentiel de l’activité économique du Rwanda se fait avec l’Afrique de l’Est ».
Mais bon, le Rwanda n’est pas le seul membre de l’OIF pour qui le français n’est plus ou n’est pas à l’avant-plan. Sur les 88 gouvernements et États membres (1), seulement 32 ont le français comme langue officielle. L’Égypte, pays du premier secrétaire général de l’organisation, Boutros Boutros-Ghali, a l’arabe comme langue officielle. (2) Le français est-il donc facultatif à l’OIF ? Qu’en est-il des droits de la personne ?
Le gouvernement de Paul Kagame a été accusé à maintes reprises de bafouer les droits démocratiques et la liberté de presse. Au Rwanda, selon Amnistie internationale, «les attaques contre l’opposition politique, les médias indépendants, la société civile et les défenseurs des droits humains ont instauré un climat de peur. » En juillet dernier, Reporters sans frontières se disait inquiet de la candidature de Louise Mushikiwabo. Inquiétude légitime ! Au classement mondial de la liberté de presse, le Rwanda se retrouve au 154e rang. Autre distinction, il figure au 159e rang (sur 180 pays) du classement 2017 de la Fédération internationale des droits de l’homme.
Mme Mushikiwabo, qu’on appelle « la deuxième du régime », répète depuis des années que les Africains ont leurs propres conceptions en matière de démocratie. « Toutes ces notions de démocratie et de droits humains, ce n’est pas toujours très clair et très précis » expliquait-elle à l’Agence France-Presse en août dernier. Elle n’a pas entièrement tort. Mais c’est pauvre comme explication, surtout à la lueur du bilan rwandais dans ce domaine.
Pourquoi alors ?
La demande d’adhésion à l’OIF de l’Arabie saoudite a donné lieu à des réactions hostiles suite à la disparition de Jamal Khashoggi, un critique du régime de Ryad (dont l’assassinat a plus tard été confirmé). Lors des débats, le président français a demandé s’il fallait « se contenter de prendre quelques engagements en matière de respect des droits de l’homme ? ». Bonne question. Mais la contradiction entre ces propos et le fait que Paris ait été le principal soutien, avec l’Union africaine, de la ministre rwandaise étonne.
Déjà en mai, Emmanuel Macron avait déclaré « souhaiter confier les destinées de la Francophonie à Louise Mushikiwabo ». Cette déclaration a été mal accueillie par les groupes humanitaires. Quatre anciens ministres français chargés de la Francophonie ont signé, dans Le Monde du 13 septembre, une lettre ouverte intitulée : Louise Mushikiwabo n’a pas sa place à la tête de la Francophonie.
Pourquoi la France a-t-elle appuyé aussi ardemment la candidature de Mme Mushikiwabo ? Pourquoi le Canada a-t-il retiré son appui à Mme Jean et rejoint le camp de la France et de l’Union africaine l’avant-veille du sommet ?
L’explication la plus simple est souvent la bonne. On peut penser que la France cherche à réaffirmer son influence sur l’Afrique francophone et à renouer sa relation avec le Rwanda, relation mise à mal par le génocide et distante depuis. Quant au Canada, il voudrait compter sur le soutien des pays africains, qui représentent le quart des sièges à l’ONU, alors qu’il s’apprête à briguer un fauteuil au Conseil de sécurité. Géopolitique, quand tu nous tiens...
- Liste des États membres de l’OIF: www.francophonie.org/IMG/pdf/som_xvii_membres_oif.pdf
- Depuis la création de la fonction en 1997, il y a eu trois secrétaires généraux à l’OIF: Boutros Boutros-Ghali (Égypte, novembre 97 à décembre 2002), Abdou Diouf (Sénégal, janvier 2003 à décembre 2014) et Michaëlle Jean (Canada, janvier 2015 à décembre 2018).
29095