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Tribune libre

NOTE: Les opinions exprimées sur cette pages sont celles de nos lecteurs et lectrices et ne reflètent pas nécessairement celles de l'Eau vive. Si vous désirez soumettre un texte veuillez le faire parvenir à redaction@leau-vive.ca.

Une réponse de l'Ouest à Sophie Durocher

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Madame Durocher,

Je regrette de vous informer que je n’avais pas besoin de m’asseoir en lisant vos deux récentes chroniques portant sur le slogan des Jeux de la francophonie canadienne 2017 – Moncton-Dieppe. Comme la plupart des francophones en situation minoritaire qui comprennent les Jeux, j’ai premièrement roulé les yeux en entendant parler de votre chronique. En la lisant par la suite, j’ai eu quelques larmes de rage pour les efforts des participants que vous avez insultés avec vos propos ignorants.

Hé oui, madame, les participants, en grande majorité, étaient « Right fiers » de parler, de participer, et d’échanger en français tout au long de la semaine. Leur français. Cela veut-il dire qu’il n’y avait pas d’anglais aux JFC? Certainement pas. Plusieurs de ces participants, âgés de 13 à 18 ans, n’ont la chance de parler en français que pour quelques heures par semaine chez eux. Imaginez-vous à cet âge là, voyager à l’autre bout du pays avec une équipe que vous venez de rencontrer il y a à peine quelques jours, pour vivre un événement d’envergure nationale dans une langue que vous ne parlez que de temps en temps, plein de chocs culturels et de dépaysement. C’est bien normal que quelques uns d’entres eux se sentent intimidés et se réfugient dans leur zone de confort en début de semaine. Ceux qui ont le privilège de vivre avec le français plus communément dans leur vie les épaulent, et ils se redressent et gagnent en confiance ensemble. La beauté de cela, c’est que les évènements par et pour les jeunes comme les Jeux donnent le contexte parfait pour que les participants s’encouragent entre eux et se sentent à l’aise à s’exprimer sans craindre reproche après reproche de leurs parents ou leurs enseignants. À la fin de l’évènement, le niveau d’utilisation et la qualité du français sont toujours bien supérieurs. Ce n’est pas un coïncidence.

Je laisserai l’éducation à votre égard au sujet du chiac et l’Acadie à quelqu’un qui pourra mieux vous expliquez les nuances que vous semblez encore ignorer vus vos simplifications du sujet dans vos chroniques. Ça pourrait tout de même être un peu difficile de trouver quelqu’un, vu la fatigue qu’éprouvent les Acadiens vis-à-vis ce besoin continu de se justifier envers des personnes comme vous. L’écrivaine et militante acadienne Céleste Godin en était à bouts de nerfs sur Facebook le 17 juillet:

« Je ne veux plus entendre vos opinions, à qui que ce soit sur le chiac. Je les ai toutes entendues, et je m’en fiche de si c’est une langue ou un dialecte ou un handicap ou une inspiration ou un culte ou une maladie mentale ou une assimilation ou une affirmation de soi ou une façon linguistiquement intéressante de parler ou une source de honte ou une source de fierté. On a compris, vous avez tous des sentiments très forts sur le sujet. Je veux parler d’autre chose et vous utilisez les minutes de ma vie, l’espace de débat en Acadie et l’air sur notre planète depuis trop longtemps sur ce sujet. »1

Malgré que je puisse témoigner de sa gentillesse et de sa générosité, Céleste n’est peut-être pas la bonne personne pour vous faire le cours de Respect de l’Acadie 101.

Je dois cependant dire qu’être « Right fiers », c’est pas une tendance entre jeunes, une manière de se rebeller contre l’ancienne génération, ou un signe d’assimilation. Au contraire, c’est l’invitation des jeunes de Moncton-Dieppe aux jeunes de partout au pays de venir à leur rencontre. C’est une affirmation de soi et ça représente ceux qui étaient à la tête des Jeux, les jeunes de Moncton-Dieppe. Alexis Couture, ancien président de la Fédération de jeunes francophones du Nouveau-Brunswick (FJFNB) et de la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF) a écrit sur le sujet du slogan et des jeunes qui l’ont choisi lors de son dévoilement :

« Ils ont eu le courage de choisir un slogan qui leur ressemble, malgré la controverse inévitable qui allait suivre. Cette décision démontre non seulement que la jeunesse acadienne du Sud-Est du Nouveau-Brunswick a le courage de ses convictions, mais aussi que les Jeux, comme institution importante de la francophonie canadienne, sont réellement «par et pour les jeunes». (…) C’est en acceptant que nous sommes différents et que notre différence a une valeur (que nous prendrons place). Le français «parfait» n’existe pas, c’est une langue en constante évolution qui gagne à être transformée et adaptée. »2

Saviez-vous, d’ailleurs, que c’est un événement par et pour les jeunes? Les Jeux de la francophonie canadienne sont organisés par la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF). Les Jeux sont donc bien plus qu’une simple compétition de sport, comme vous semblez encore le croire, vu votre deuxième chronique. C’est une compétition à trois volets, qui regroupe plus de 1 200 jeunes athlètes, artistes, et leaders d’à travers le pays. J’inclus la vision et la mission de l’évènement pour que vous n’ayez pas à chercher plus loin. L’emphase vient d’eux.

Vision

Les JeuxFC se veulent la célébration de la jeunesse d’expression française du Canada, un moment significatif pour la construction identitaire et l’identité culturelle de cette jeunesse, l’occasion par excellence de développement et de dépassement de soi et un évènement incontournable que chaque communauté aspire à accueillir. Les JeuxFC sont organisés selon le principe du par et pour les jeunes et désirent respecter les principes du développement durable et y contribuer.

Mission

Les JeuxFC visent principalement à :

  • Favoriser les rapprochements, créer ou resserrer les liens et sensibiliser les jeunes aux autres réalités du pays;
  • Contribuer à la construction ou au renforcement de l’identité de la jeunesse d’expression française du Canada;
  • Permettre l’acquisition et la mise en pratique de connaissances et d’expertises qui serviront à l’épanouissement des individus, des communautés et des partenaires participants;
  • Offrir une expérience culturelle enrichissante dans la communauté d’accueil;
  • Présenter une programmation unique valorisant les arts, le leadership et les sports;
  • Favoriser un esprit de coopération.3

Vous remarquerez à quel point la langue et la construction identitaire sont au cœur des Jeux. Mis à part le Québec et le Nunavut, les délégations sont organisées par les membres de la FJCF, soit les onze organismes provinciaux et territoriaux de la jeunesse francophone. Je vous les nomme, pour encore vous éviter l’ennui de chercher ailleurs pour les trouver.

Conseil jeunesse francophone de la Colombie-Britannique (CJFCB)

Jeunesse Franco-Yukon (JEFY)

Francophonie Jeunesse de l’Alberta (FJA)

Jeunesse TNO

Association jeunesse fransaskoise (AJF)

Conseil jeunesse provincial (CJP)

Fédération de la jeunesse franco-ontarienne (FESFO)

Fédération de jeunes francophones du Nouveau-Brunswick (FJFNB)

Conseil jeunesse provincial de la Nouvelle-Écosse (CJP)

Jeunesse Acadienne et Francophone de l’ÎPÉ (JAFLÎPÉ)

Franco-Jeunes de Terre-Neuve-et-Labrador (FJTNL)

C’est extrêmement important que les jeunes se rencontrent pour prendre conscience des différentes cultures et réalités de leurs pairs. Pour certains d’entres eux, les Jeux, c’est tout simplement savoir qu’ils ne sont pas seuls.

Mais pour moi, Madame Durocher, vos chroniques m’ont blessé personnellement. Après avoir vu une des jeunes de mon groupe se transformer durant les Jeux, vos mots sont venus me chercher tout droit. Cette jeune est partie de quelqu’un qui était inquiète de son niveau de français en arrivant et nerveuse de se faire entendre parler, à une jeune qui se faisait des ami.e.s de partout au pays et qui a vécu la meilleure expérience sur scène de sa vie, tout en s’émerveillant du talent de ses pairs, tous avec une chose en commun : leur français. J’en connais des centaines, des jeunes de même, qui sont venus me parler avec l’étincelle dans l’oeil, que ce soit aux Jeux ou à une activité semblable. Il y en a des milliers d’autres comme eux. Vous pouvez choisir de leur taper sur la tête ou de les écouter.

Après tout cela, Madame Durocher, je ne vous en veux pas. Je comprends votre point de vue, je sais pourquoi vous vous êtes choquée, de votre bureau à Montréal. Mais la controverse a déjà eu lieu il y a au delà d’un an, lorsque le slogan a été annoncé. Les JFC ont eu raison de ne pas répondre à votre chronique, ils avaient des meilleures choses à faire. Et comme disait la directrice générale du Conseil jeunesse provincial, Roxane Dupuis, à Radio-Canada le 17 juillet, « J’pense que le slogan a fait parler pour les Québécois. J’pense pas que le slogan a fait parler pour les gens qui sont en milieu minoritaire. »4 Effectivement, en survolant les commentaires de vos chroniques, ceux de votre avis, qui déplorent le sort du français, sont surtout des Québécois à la chevelure plutôt salée. Drôlement, leurs commentaires sont souvent bourrés de fautes…

Pour ceux d’entre nous qui se battent réellement au quotidien pour vivre en français, une chose est claire : l’enthousiasme et l’amour de la langue doivent venir en premier. Cloé Maisonneuve, la médaillée d’argent d’Équipe Alberta en Art Oratoire nous confiait lors des Jeux que son histoire, c’est en partie « l’histoire d’une petite fille qui est maintenant grande, qui a été traitée de “frog”, qui a été traitée d’anglophone, qui aurait pu douter de sa place mais qui, encore aujourd’hui, se présente comme francophone. Qui reconnaît les batailles gagnées du passé et valorise les fruits de son travail. Qui a appris c’est quoi se tenir debout, se tenir droit, viser toujours plus haut, réussir au delà des attentes, même quand on en peut plus, parce qu’il faut constamment valider la francophonie. » Survivre, ce n’est pas se battre entre nous, Madame Durocher. Survivre, c’est encourager nos différences, c’est aller à la rencontre de l’autre, c’est s’écouter pour valoriser nos cultures distinctes à travers cet immense pays. C’est rester unis dans notre diversité.

Dans l’esprit des chants de « Nous ôtes on est peppés peppés vous ôtes z’êtes pas peppés hé! » qui tonnent à travers le site de chaque édition des JFC de par les bouches de milliers de participants débordants d’énergie, de passion, et d’esprit de compétition tout autant féroce qu’amical, je vous lance ceci : « Nous ôtes on se bât pour notre langue et notre culture ensemble, vous ôtes vous vous battez pas pour votre langue et votre culture mais plutôt pour des clics d’internautes hé! » C’est peut-être un peu moins rythmé, mais vous comprenez. Serez-vous capable de me le relancer en toute honnêteté?

Madame Durocher, sortez votre cuillère en bois du fumier de la controverse et mettez-vous donc la main à la pâte avec nous. Ce serait un plaisir de vous voir aux Jeux de la francophonie canadienne 2020 à Victoria, Colombie-Britannique. Avec des disciplines en démonstration telles la voile et l’art culinaire, ce sera, comme toujours, une édition et une expérience à ne pas manquer!

Je vous laisse avec un des refrains du groupe de musique de l’Île-du-Prince-Édouard, Les 112 accords, qui a gagné la médaille d’argent dans la compétition de musique :

« On va chanter, on va danser
On va fêter toute la soirée
C’est juste comme ça qu’on a été élevées
De nos familles, on l’a hérité »

Bien à vous,

Eric Doucet

 

Entraîneur de musique, Équipe Alberta 2017
Entraîneur de musique, Équipe Alberta 2014
Participant en improvisation, Équipe Alberta 2011
Bénévole, Jeux de la francophonie canadienne 2008

1https://www.facebook.com/celestifique/posts/10154987794669164

2https://astheure.com/2016/02/05/jeux-de-la-francophonie-canadienne-2017-un-slogan-par-et-pour-les-jeunes-alexis-couture/

3http://jeuxfc.ca/a-propos/information-generale/

4http://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/l-actuel/segments/entrevue/31511/franglais-manitoba-jeux-francophonie-milieu-minoritaire

Article de Sophie Durocher

Voir cet article sur le site Web d'Éric Doucet