Les Cypress Hills, des collines sans cypress ni cyprès?
La Saskatchewan et l’Alberta offrent aux voyageurs une variété de paysages admirables. Certains des plus beaux se donnent à voir dans les collines Cypress, particulièrement dans la clarté diffuse des crépuscules lorsque la palette des jaunes, des verts et des ocres mordorés ornant les éminences et leurs coteaux tourne au pastel sous l’effet des derniers rayons empourprés d’un soleil à l’agonie. Rien d’étonnant que cette région ait une réputation de lieu sacré auprès de plus d’un peuple autochtone.
La fréquentation de ces collines remonte à la nuit des temps. Des peuples aux origines communes ou distinctes s’y sont déplacés, croisés, heurtés même parfois. Cris, Assiniboines, Pieds-Noirs, Gros-Ventres (Atsinas), Pend d’Oreilles et Gens de Vache (Arapahos) furent au nombre de ceux-là. Au cours des deux derniers siècles, attirés par les derniers grands troupeaux de bisons qui paissaient à ses abords, des descendants d’Européens, métis pour la plupart, en ont fréquenté les coulées et les plateaux avant d’y être rejoints par les vagues de colons désireux d’y pratiquer l’élevage.
Si tous ces groupes adoptèrent un nom tiré de leur propre langue pour désigner ces collines, seul le nom Cypress Hills a aujourd’hui acquis un caractère officiel. Or, ce nom paraît bien curieux puisqu’il n’y a précisément pas de « cypress » dans les Cypress Hills. L’élément spécifique « cypress » dans le nom Cypress Hills est la traduction du terme français « cyprès ». Or, l’un et l’autre terme ne désignent pas la même essence d’arbre.
Cette explication toute simple et probablement véridique n’est cependant pas complète. En fait, l’adoption du nom cypress ne se serait pas le produit de méprises et de métonymies.
Au Canada, « cyprès » est le nom commun des conifères du genre cupressus. Au cours du XIXe siècle et peut-être même bien avant, les Canadiens français, particulièrement ceux vivant au Lac-Saint-Jean et en Abitibi1, en seraient venus à employer le nom cyprès pour désigner le pin divariqué (pinus banksiana), en anglais « grey pine ». Cette application du nom cyprès au pin divariqué semble s’être rapidement répandue à l’ouest du continent.
C’est, semble-t-il, James Hector, membre de l’expédition Palliser qui livra le premier l’origine du nom Cypress Hills : « These hills are usually called the "Cypress Mountains" from the fact of a specie of pine known by the name of "Cypré" [sic] to the French Half-breeds ». 2 Or le pin divariqué ne se rencontre pas véritablement dans ces collines qui n’abritent que deux types de grands conifères : le pin tordu (Pinus contorta var. latifolia) et l’épinette blanche (Picea glauca). James Hector précise ailleurs : « …all the pines are termed by the Company's servants le Cyprés [sic], which, however, is more properly the P. Banlcsiana. »3
Les Métis auraient-ils donc confondu pin gris et pin tordu ? Quoi qu’il en soit, et c’est la troisième méprise, le nom « montagne de Cyprès » fut très tôt traduit en anglais bien que le pin tordu ne soit pas connu dans cette langue sous le nom
Aujourd’hui le toponyme Cypress Hills est fermement implanté. Mais l’appellation française était-elle originale ou serait-elle elle-même la traduction d’un nom amérindien ? La chose n’est pas si improbable.
Les sources documentaires ne nous révèlent que quelques noms aux origines autochtones. Les Cris nous ont laissé le nom Mun-a-tub-gow [sic] « magnifique hauteur ». 4 L’un des noms est d’origine assiniboine et signifie « Collines de l’Ours grizzly ». Enfin, les Pied-Noirs nous ont laissé ahya kimi kwi [sic]5 que l’on peut rendre par « terre striée », mais aussi un autre nom à référence sylvestre à propos duquel il n’est pas interdit de penser qu’il a pu inspirer la désignation française. Il s’agit de katewius netumoo [sic] que l’on trouve traduit en anglais de deux manières : « pine hills » et « hills of whispering pines ».6
Cela dit, si tout n’a pas encore été écrit sur les noms de ces collines, ce que l’on peut tenir pour assuré c’est l’influence qu’a jouée la culture canadienne-française dans la genèse du nom officiel que ces collines portent aujourd’hui.
1. Marie-Victorin, (1964), Flore laurentienne, -- Montréal, Les Presses de l'Université de Montréal, deuxième édition
2. Palliser, J. Further Papers Relative to the Exploration by the Expedition under Captain Palliser (London, 1860). p. 61.
3. Selwyn, R.C., (1874) Observations by R.C. Selwyn, Report of Progress for 1873-74, Geological Survey of Canada. Montreal, Dawson Brothers, p. 47.
4, 5 et 6. Bonnichsen, R., & Baldwin, S. J. (1978). Cypress Hills ethnohistory and ecology: a regional perspective. [Edmonton]: Alberta Culture Historical Resources Division, p. 78.
Carol J. Léonard
Professeur adjoint à la Faculté Saint-Jean
Président sortant de la Société canadienne d’onomastique
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