Pour Jean-François Savard, professeur à l’École nationale d’administration publique (ENAP), le manque de bilinguisme chez les cadres de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) n’est pas une nouvelle en soi, mais un produit de la société.
Début octobre, Radio-Canada révélait que plusieurs hauts gradés de la GRC occupent des postes bilingues alors qu’ils ne maîtrisent pas le français. Une information qui ne surprend pas du tout Jean-François Savard.
« Il n’y a rien de surprenant, lance le professeur. C’est simplement un reflet [de la société] que l’on trouve aussi dans la fonction publique fédérale en général. »
Quelques semaines après la publication de l’article, le commissaire de la GRC, Michael Duheme, était convoqué devant le Comité permanent des langues officielles.
Lors de son témoignage, le 30 octobre, il a affirmé que l’organisme étatique mettrait en place une nouvelle stratégie afin de se conformer à la Loi sur les langues officielles.
« Nous identifierons les lacunes et les obstacles comme matière de conformité », a lancé le commissaire en séance parlementaire.
En outre, Michael Duheme a présenté les quatre axes prioritaires de cette stratégie : « Renforcer le leadership en matière de langues officielles, promouvoir la conformité législative avec la Loi sur les langues officielles, créer une culture d’inclusion et assurer la responsabilité, la transparence et l’évaluation des progrès. »
La GRC affirme avoir récemment lancé un projet pilote qui consiste à embaucher des enseignants de langue seconde pour offrir des formations à l’interne aux employés.
Pour Jean-François Savard, c’est un projet comme un autre. « Penser qu’un projet pilote pourrait améliorer une situation comme celle-là, non je n’y crois pas vraiment, dit-il avec un ton pessimiste. Ça fait trop partie de la culture canadienne. »
Un problème de culture ?
« C’est un problème de culture, assène le professeur. Dans la culture canadienne, il y a très peu d’intérêt pour le bilinguisme. »
Quant aux lacunes francophones au sein de la GRC, « on n’est pas dans une situation de mauvaise gestion des effectifs en région. On parle ici de la volonté des gens d’apprendre une autre langue », insiste Jean-François Savard.
« Il faut vouloir la pratiquer, [la langue française]. Tant que cette volonté n’existera pas, il n’y a pas de programme qui permettra de changer cette situation », estime Jean-François Savard.
En plus de constater que la maîtrise du français est « généralement très mauvaise » au sein des institutions fédérales, le professeur soutient que les francophones semblent être souvent défavorisés lorsqu’il s’agit de grimper les échelons.
Selon lui, très peu d’entre eux arrivent à atteindre des niveaux de cadres supérieurs dans l’administration fédérale.
Tout cela représente, d’après lui, un ensemble de caractéristiques de la société canadienne hors du Québec.
« On entend des gens comme le premier ministre Blaine Higgs au Nouveau-Brunswick qui disent à tout le monde publiquement que lui, en tant qu’anglophone, il se sent menacé, il se sent bafoué dans ses droits d’avoir à parler français […], illustre Jean-François Savard. À l’exception de la Nouvelle-Écosse, c’est un mouvement qu’on retrouve partout au Canada [anglais]. »
L’éducation et des politiques ciblées
Pour Jean-François Savard, le changement de culture doit passer d’abord et avant tout par l’éducation, primaire et secondaire.
Selon lui, il serait important d’améliorer la qualité du français enseigné partout au Canada, « avec des programmes plus enrichis qui donnent une meilleure immersion dans la langue ».
« À partir du moment où ils sont capables de s’immerger dans cette culture-là […], ils arrivent à mieux comprendre la réalité des francophones et ils ne sont plus menacés par le fait français », explique Jean-François Savard.
Dans un deuxième temps, la mise en place de politiques publiques en faveur de la langue française et de sensibilisation aux questions linguistiques serait une étape importante pour soutenir les francophones hors Québec, soutient le professeur en administration publique.
Même si la Loi sur les langues officielles garantit l’offre de services bilingues, il n’existe pas selon lui de politiques ayant pour but d’assurer la francophonie ou le bilinguisme.
Dans cette optique, le spécialiste soutient que des politiques fédérales pourraient amener à sensibiliser la population sur le fait français et aussi uniformiser l’enseignement de langue seconde partout au pays.