J'avais 13 ou 14 ans. Pour reprendre les paroles des Trois Accords, "dans mon corps de jeune fille, il y (avait) des changements" et, comme beaucoup de jeunes adolescentes, j'étais mal à l'aise avec ce corps en transformation. Mal à l'aise sous les regards concupiscents. J'aurais préféré qu'on me mena au pilori plutôt que de porter un bikini.
Le maillot une pièce que j'avais acheté était affublé d'un soutien-gorge beaucoup trop grand (il n'y avait pas de Speedo à l'époque), j'avais l'impression d'être ma grand-mère. Au malaise s'ajoutait le ridicule. J'ai donc réquisitionné une chemise blanche de mon père. Bonheur ! À l'abri des regards et des coups de soleil, j'ai pu profiter de l'eau et de la plage en toute liberté.
Des années plus tard, j'ai vécu au Mexique. J'étais désormais tout à fait à l'aise avec mon corps et mon bikini. Mais j'ai développé une allergie au soleil. Retour de la chemise blanche, sans laquelle les joies de la mer m'auraient été interdites. (Heureusement qu'on n'était pas à Cannes en 2016. On m'aurait probablement demandé d'enlever ma chemise et fait payer une amende).
Depuis, j'ai toujours une chemise blanche ou une tunique quand je suis en maillot. C'est mon choix. Il y a le soleil, il y a aussi mon corps qui vieillit et que, à tort ou à raison, je n'ai nulle envie d'exhiber.
Tout ça pour dire que la polémique autour du burkini, son interdiction sur certaines plages françaises, le débat qu'il provoque au Québec, m'étonnent. N'est-il pas curieux de penser qu'il n'y a pas si longtemps, c'est la nudité des femmes qui offensait les biens-pensants? N'est-il pas étrange de voir que la pudeur des femmes dérange alors que l'affichage de corps nubiles sur des millions de publicités et de couvertures de magazines ne gêne personne? Est-ce parce que la notion d'indécence ne veut plus rien dire et que la pudeur nous offusque?
Le burkini a fait son apparition en 2004. Sa créatrice, Aheda Zanetti, Australienne d'origine libanaise, l'a créé pour permettre à sa nièce de se livrer à des sports incompatibles avec le hijab. Le succès fut presque immédiat. « J'ai créé le burkini pour libérer les femmes, pas pour leur enlever leur liberté. (…) Le burkini, ce n’est pas un symbole d’Islam: c’est un symbole de plaisir, de joie, de sport, de santé. Alors, qui est pire, les talibans ou les politiciens français »?
Qu'on se le dise, celles qui portent le burkini ne sont pas celles qui portent la burqa. La lutte contre la menace terroriste ne tient pas dans un maillot de bain. La France est-elle plus en sécurité parce que des policiers demandent à des femmes de se dévêtir ou de quitter la plage? Le Québec serait-il plus près de ses valeurs laïques si le port du burkini était interdit?
J'ai des amies musulmanes, certaines portent le hijab, d'autres non. Il en va de même pour le burkini. Elles affirment que c’est leur choix, pas celui de leur mari. Bien sûr, il y a celles qui sont obligées de le porter, celles qui n'ont aucune liberté de choix, voire de parole. Interdire le burkini aurait pour unique résultat de priver ces femmes de la mer, du soleil, de la socialisation avec d'autres femmes, musulmanes ou non. Interdire le port du burkini est aussi absurde que de forcer une femme à le porter.