Les reliefs de la plaine sont à taille humaine. Modestes, gentle, comme le dit si bien l’anglais, plus proche de l’ondoiement que du vrai relief topographique. On imagine une sorte d’aimable géante des temps anciens qui se serait amusée à agiter l’immense bassin des Prairies pour y faire des remous, histoire de s’amuser, d’en casser la monotonie. Vu du ciel, on ne peut pas distinguer ces vaguelettes. C’est sur la route qu’on les ressent.
Sur la Yellowhead, je les rencontre çà et là, comme si la plaine s’amusait à me surprendre, à me secouer gentiment pour me sortir de l’état semi-hypnotique dans lequel la conduite me plonge. Ces inflexions sont à l’image de mes propres sautes d'humeur : passagères.
Tout comme ces dos‐d’âne de la route, ces creux de notre moral me prennent par surprise. Et si les montagnes russes de la route m’amusent, celles de mon moral, pas du tout.
On devrait pourtant y être habitué : ces remous sont quotidiens. Il faut peu de choses pour déstabiliser les esprits inquiets que nous sommes : un ennui mécanique, un vertige, une prise de bec avec son conjoint, rien de bien sérieux quand on y pense, rien qui ne passe avec le temps. Mais ces petits creux de la vie réveillent les grandes peurs de l’existence, celles du besoin, de la solitude, de la maladie.
Étonnamment, c’est là que la plaine sait se faire douce et rassurante. À l’image de ces lignes téléphoniques qui bordent les routes de gravelle, on y trouve un dense réseau de relations. On découvre avec étonnement, comme du temps où plusieurs fermes partageaient la même ligne téléphonique, que les gens nous écoutent. Une conversation autour d’un café, un coup de fil et le malaise est passé. Déjà fini? La plaine a encore une fois réussi à polir les aspérités de la vie.
Pour mieux comprendre les bosses de notre moral, il faudrait s’arrêter un moment sur le bas-côté. « Pourquoi une telle broutille m’a-t-elle secoué comme ça? » On comprendrait mieux ce qu’elles cachent. On saisirait pourquoi ces réactions épidermiques se répètent à intervalles réguliers, comme ces mauvaises farces du 1er avril.
Mais la route continue, ce n’est pas le moment de traîner! Je jette un vague coup d’œil dans le rétroviseur et écrase l’accélérateur. Maintenant que le creux de la vague est passé, tout va bien, la route est tranquille.
Lignes de fuite de David Baudemont, parution juillet 2015, Éditions de la nouvelle plume, http://plume.avoslivres.ca/