Le labyrinthe
Illustration de David Baudemont
Un champ de blé fraîchement moissonné s’est encadré à la perfection dans le hublot. J’admire ces volutes dorées.
D’abord, ça m’a fait penser à une chrysalide. Comme si un insecte géant avait tissé ces bandes de blé concentriques pour subvenir à ses besoins et abriter sa métamorphose. Les champs de blé en cocon nourriciers de l’humanité? L’homme transformé par l’agriculture céréalière? Je n’accroche pas…
Ensuite, j’y ai vu « l’emmaillotage » du bébé. Il y a de la tendresse dans ces couches de céréales lovées sur elle‐même, tournées vers le centre. Le fermier aime sa terre, on ne peut pas le nier. Ça n’est pas impossible… Quelque chose, pourtant, ne colle pas. Simpliste. Trop maternel.
Ah, cette fois j’y suis: c’est le rouleau de réglisse du marchand de bonbons! Gamin, je m’empiffrais à la sortie de l’école pour faire passer, dans le sucré amer, les longues heures d’ennui derrière nos pupitres. Quand j’y réfléchis bien, la réglisse, ça n’était pas si bon que ça… Mais il y avait le plaisir de grignoter à petits coups de dents ce serpentin noir, négligemment, en le laissant pendre, jusqu’à la petite boule de sucre logée en son centre. Les champs de blé : un immense jeu d’enfant avec son trésor au centre? Ça cloche encore… En plus la réglisse, c’est noir!
Alors que l’avion prend de l’altitude, une image familière apparaît dans le hublot : le labyrinthe! Couleur mise à part, c’est bien le dessin du parterre de la cathédrale de Chartres qui est là, reproduit à même le sol de la plaine. Un chemin de croix qu’il faut parcourir en pénitent? « C’est pas rose tous les jours, mais on s’y fait. » Ah, là on se rapproche! C’est du vécu, du vrai, du quotidien, on sent le mal de dos, la fatigue du vendredi soir. Au bout, il y a la rédemption, nous dit‐on… La vie sur terre est un labyrinthe, ça va de soi. L’ennui, c’est que je ne me sens pas le moins du monde élu, encore moins sauvé et par‐dessus tout, je doute souvent d’être sur le bon chemin. Je doute autant que d’autres y soient. Hum…
Virage sur l’aile. Ascension vers l’altitude de croisière. Et là enfin, l’image que je refusais de voir est là, bien en face : c’est une perle de culture, coupée en son centre. Ses couches sont faites de nacre dorée qui brille au soleil de l’été.
Je n’ai jamais été assez optimiste ni assez serein pour voir ma vie comme un bijou. Et pourtant… Qui est l’esprit malin qui, il y a longtemps, a déposé ce grain de sable dans mes bottes, ce mal de vivre qui m’a gêné toute ma vie et autour duquel pourtant j’ai fini par sécréter, couche par couche, cette petite perle qui est ma vie aujourd’hui? Si je l’ai fait par courage ou par résilience parfois, le plus souvent ce fut par simple obstination.
Lignes de fuite de David Baudemont, parution juillet 2015, Éditions de la nouvelle plume, http://plume.avoslivres.ca/