La Loche, l’ignominieux crime qui y a été perpétré en janvier dernier a fait en sorte qu’un nom a ressurgi. La Loche, un nom, le sait-on, qui était internationalement connu dès la fin du XVIIIe siècle. Bourgeois et dirigeants des grandes entreprises et boutiques qui vêtaient et coiffaient de fines fourrures les titrés et la gentry de Londres, Paris, New York ou Montréal étaient bien au fait de l’existence de ce lieu.
La réputation de La Loche s’était répandue dès que les traiteurs de fourrures atteignirent le célèbre portage situé à l’extrémité occidentale du lac qui baigne les rives de La Loche et auquel le portage et ce village nordique ont emprunté leurs noms.
Le portage La Loche fut l’un des plus fameux sinon le plus célèbre des portages dans toute l’histoire canadienne de la traite des fourrures. Il acquit cette réputation d’abord en raison de sa longueur. Longueur appréciable à n’en pas douter ; une vingtaine de kilomètres, véritable épreuve d’endurance pour les Voyageurs, ces engagés des compagnies de traite qui ne pouvaient emprunter ce portage sans appréhender les pénibles efforts auxquels ils devaient consentir pour parvenir à son extrémité. Aussi, tout le long de la piste, on avait aménagé des pauses de portage.
Une fois la pause atteinte, on y déposait le lot de marchandises que l’on était parvenu à transporter. Puis chacun revenait sur ses pas pour aller chercher d’autres marchandises. On répétait ainsi le va-et-vient de la manœuvre de pause en pause de manière à assurer le transport du cargo et des canots d’une extrémité à l’autre du portage.
Ces pauses avaient pour noms : Queue de la Loche, Petit vieux, Fontaine de sable, la Vieille, Fontaine de Roche, pause Bonhomme, pause Cyprès.
Avant d’atteindre la pause nomme Crête de la descente, puis la pause La Prairie, on s’arrêtait au bien nommé petit lac Rendez-vous (aujourd’hui Rendezvous Lake). C’est là que les brigades de Voyageurs du bassin de la Churchill échangeaient avec celles du Mackenzie les marchandises de traite contre les riches fourrures qu’elles rapportaient du Mackenzie.
C’est bien là le second facteur à l’origine de la réputation de La Loche. Son portage était la principale porte d’entrée donnant sur le bassin du grand fleuve et à ses régions boréales et arctiques où l’on pouvait se procurer les fourrures les plus fournies, les plus chaudes, les plus soyeuses avec lesquelles tant de beaux messieurs et de belles dames de la grande société allaient pouvoir se parer pour se pavaner à l’envi.
Le lac, tout comme la rivière qui y mène, le village et le portage tirent tous leur nom de la présence dans les eaux du lac d’une variété de poisson (Gadus Lota maculosus) désigné chez les Cris sous le nom Methye ou Mihyëy alors que les Denésolinés le nomment Ot'esh-otchôré. Le toponyme La Loche s’imposa d’abord aux Voyageurs eux-mêmes puis aux Amérindiens et aux Métis qui s’y regroupèrent. Plusieurs s’y établirent pour gérer et assurer la logistique indispensable aux traversées du grand portage. Ils formèrent le noyau de la population dont de nombreux descendants sont encore établis au village.
La présence de patronymes familiaux d’origine française au sein de la population résidente (Janvier, Le Maigre, Jolibois, Sylvestre, Herman, Fontaine, Montgrand, Tout Le Jour) y trouve son explication.
Terminons ici avec une anecdote qui révèle le caractère symbolique du portage. À la suite des Peter Pond et Alexander Mackenzie, George Simpson grande figure de la Compagnie de la Baie d’Hudson emprunta à son tour le fameux sentier. En un lieu qui fut sans doute celui de la pause dite « du Vieux », il se soumit à un rituel auquel aucun patron, aucun bourgeois traversant le portage ne pouvait échapper au risque de voir sa barbe rasée sur-le-champ. Il servit une généreuse rasade de rhum à tous les engagés qui l’accompagnaient. Les libations terminées, les Voyageurs baptisèrent l’endroit Campement de Monsieur Simpson. Ce rituel faisait écho à ceux en usage à bord des navires au moment où ils franchissaient l’équateur.