Le Sénat canadien
Photo: Étienne Ranger
OTTAWA - Stephen Harper semble se désintéresser complètement du Sénat pour ne pas avoir à trancher sur la question _ c'est du moins ce qui ressort de ses dernières interventions sur le sujet.
Le premier ministre canadien a pris ses distances de la chambre haute, la semaine dernière, à la suite de révélations fracassantes du vérificateur général sur les dépenses des sénateurs, arguant qu'il s'agissait d'une institution "indépendante responsable de ses propres dépenses".
M. Harper a aussi baissé les bras sur sa volonté de réformer le Sénat pour que ses membres soient élus _ une bataille qu'il menait depuis plus de 30 ans. L'année dernière, la Cour suprême avait refroidi ses ardeurs en statuant qu'un tel changement nécessiterait un amendement à la Constitution qui devrait être approuvé par au moins sept provinces représentant 50 pour cent de la population canadienne. Pour abolir complètement l'institution, il lui faudrait l'appui unanime des provinces.
Par ailleurs, le premier ministre a cessé de nommer de nouveaux sénateurs depuis 2013, alors que le scandale du Sénat commençait à poindre à l'horizon. Il y a actuellement 20 sièges vacants sur les 105 de la chambre haute et il y en aura deux autres qui se libéreront d'ici la fin de l'été. Au Bureau du premier ministre, on soutient qu'il ne prévoit pas nommer de nouveaux sénateurs.
Or, à seulement quatre mois des élections générales, d'anciens partisans issus du mouvement réformiste sont pantois devant la stratégie de M. Harper.
Le politologue Roger Gibbins, ancien directeur d'un groupe de réflexion albertain, croit que le premier ministre a mal géré ce dossier, ce qui est d'autant plus étonnant puisqu'il s'agit d'un enjeu important pour lui, a-t-il souligné.
M. Gibbins avance d'ailleurs que certaines provinces pourraient être tentées d'aller devant les tribunaux pour réclamer que le premier ministre désigne tous les sénateurs auxquels elles ont droit. Un avocat de Vancouver a déjà demandé à la Cour fédérale d'ordonner que les nominations soient effectuées dans un "délai raisonnable".
Roger Gibbins croit que le premier ministre s'est "peinturé dans un coin", et qu'il a maintenant devant lui deux options qui pourraient être dommageables.
Il pourrait choisir de nommer en bloc tous les sénateurs avant les élections, mais cela susciterait une controverse au pays dans le climat politique actuel.
Il serait aussi possible qu'il attende après les élections _ ce qui l'expose au risque qu'un autre premier ministre soit élu et choisisse les nouveaux sénateurs à sa place. Par conséquent, le Parti conservateur perdrait le contrôle du Sénat aux mains des autres partis, ce qui serait difficile à pardonner pour ses partisans, selon M. Gibbins.
Un ancien conseiller du premier ministre, Tom Flanagan, croit que M. Harper reportera les nominations après les élections puisque ce n'est probablement pas l'une de ses priorités actuellement. "Je crois qu'il se concentre à gagner les élections", a-t-il affirmé.
MM. Gibbins et Flanagan soutiennent que le premier ministre pourrait être tenté, éventuellement, d'instaurer une sorte de variation de la réforme proposée par le chef libéral. Justin Trudeau avait suggéré de créer une institution indépendante qui procéderait à la nomination non partisane des sénateurs.
Tom Flanagan doute fortement que M. Harper, qui avait ridiculisé l'idée de son collègue libéral, adopte ces changements avant les élections du 19 octobre.
"Selon mon expérience, il a toujours quelque chose en tête. Je ne l'ai jamais vu sans stratégie sur les enjeux importants. Il peut parfois nous surprendre", a souligné M. Flanagan.