L’Association des théâtres francophones du Canada, en collaboration avec Professionnal Association of Canadian Theatres et Playwright’s Guild of Canada, a produit le message canadien qui est lu dans les deux langues un peu partout au pays à l’occasion de la Journée mondiale du théâtre, le 27 mars. Ce message, créé par Mélanie Léger de Moncton, a été lu lors de la soirée de clôture du Festival découvertes à Saskatoon samedi dernier.
Les dinosaures ne connaissaient pas le théâtre. C’est pourquoi ils ont été exterminés de la surface de la Terre.
Les dinosaures n’avaient pas les moyens de s’expliquer, ni de comprendre les changements de la planète. Ils n’inventaient pas de jeux et ne savaient pas rire. D’ailleurs, ils ne reconnaissaient pas les différences entre eux et refusaient en général de collaborer avec les autres. Peut-être rêvaient-ils? Mais ils n’avaient pas les moyens de partager leurs rêves. Ils vivaient seuls et tristes, et c’est pourquoi ils n’ont pas pu survivre comme espèce. C’était la période jurassique… Avant le théâtre.
Au Canada, le théâtre n’est pas encore menacé d’extinction, mais il doit lui aussi s’adapter à toutes sortes de changements. Nous pouvons penser, par exemple, aux pressions d’un gouvernement fédéral qui s’intéresse presque exclusivement aux fossiles bitumineux. Heureusement (et contrairement aux dinosaures et à ses dérivés), le théâtre célèbre les différences et la collaboration. Il nous rappelle que nous vivons en communauté et que nous ne pouvons exister seul. Il nous plonge dans les eaux les plus profondes de l’expérience humaine. Tel un pont, une route d’espoir, il nous permet de continuer vers l’avant, pour ne pas disparaître. Ensemble, nous traversons le temps et nous échappons au « dino-sort ».
En Amérique, le théâtre occidental est arrivé sournoisement. Il servait à convertir les autochtones au catholicisme. Plus près de moi, en Acadie, Le théâtre de Neptune en la Nouvelle-France, de Marc Lescarbot, montrait la convivialité entre les Mi'kmaq et les premiers colons français. La pièce visait à divertir les colons et à leur donner du courage pour affronter les premiers hivers. Peu à peu, partout dans les Amériques, les peuples se sont approprié le théâtre pour affirmer leur existence et comme moyen d’émancipation.
Aujourd’hui, j’honore ceux qui font du théâtre un espace de rigueur et de liberté. Je remercie ceux qui nourrissent ma passion d’artiste et de spectatrice. Car, ne sommes-nous pas tous, d’abord et avant tout, spectatrice/spectateur... Merci aux producteurs de culture, la nourriture de l’âme que cherchèrent les dinosaures, sans jamais la trouver.
J’ai une pensée particulière pour la première personne qui m’a amenée au théâtre, quel beau cadeau! On raconte que je suis restée debout durant toute la représentation, la bouche ouverte… J’avais deux ans.
Il y a quelques années, j’ai rencontré l’artiste de théâtre uruguayen, Gabriel Calderón. Considéré « l’enfant terrible » du théâtre en Uruguay, je le questionnais sur son rapport à la provocation, étiquette collée à son travail. Il m’a demandé : « Qu’est-ce qui est mieux? Que les spectateurs soient d’accord, ou non? » Calderón était heureux de sentir qu’il provoquait une certaine discorde chez les spectateurs. Il voulait me dire que le théâtre n’est pas un lieu de consensus. Nous n’allons pas au théâtre « pour être d’accord », nous y allons pour vivre une expérience esthétique personnelle. Le philosophe français Jacques Rancière défend l’idée selon laquelle le spectateur n’est pas captif de l’intention de l’artiste. Le théâtre devrait inciter les gens à penser différemment les uns des autres. Il nous ouvre au pouvoir d’interprétation et à plus de liberté. Il participe à l’exercice démocratique.