Élections fédérales : quel chef servirait le mieux les francophones?
Chefs des partis fédéraux canadiens aux élections 2015
De g. à d. : Thomas Mulcair (Nouveau parti démocratique), Stephen Harper (Parti conservateur) et Justin Trudeau (Parti libéral)
Au cours de 37 des 50 dernières années, le gouvernement canadien a été dirigé par des chefs montréalais. La tendance pourrait s’accentuer à partir du 19 octobre. Mais quel chef serait le plus favorable à la francophonie?
Le chef conservateur Stephen Harper n’est pas reconnu comme un champion de la francophonie. Mais ses principaux adversaires, le néo-démocrate Thomas Mulcair et le libéral Justin Trudeau, le seraient-ils? Lequel pourrait rétablir l’autorité des Québécois à Ottawa et rallier les communautés francophones?
L’auteur et historien Claude Couture croit que le scrutin national pourrait réaffirmer la longue tradition du leadership québécois au Canada, qui s’étend de Wilfrid Laurier (1896-1911) à Paul Martin (2003-2006). « La grande passion des Canadiens français pour la politique remonte à quelques siècles, à partir de la Rébellion de 1837. Les libéraux ont dominé la politique fédérale pendant 75% du 20e siècle, ajoute le professeur d’études canadiennes au Campus Saint-Jean de l’Université d’Alberta. À l’intérieur du parti, les chefs québécois ont joué un rôle très important. La base a toujours été une majorité au Québec. La seule exception a été l’élection de Jean Chrétien en 1993, avec 99 sièges en Ontario. »
Un autre aspect de l’emprise québécoise est la participation électorale. « Même si le taux est à la baisse au Québec, souligne Claude Couture, la participation y demeure beaucoup plus élevée qu’ailleurs. »
Une troisième explication s’impose, selon l’historien. « Depuis l’élection de Stephen Harper en 2006, un autre paradigme s’est esquissé. Le Québec s’affirme plus au centre-gauche que le reste du pays. Alors que le Canada est divisé, le NPD reste fort au Québec et pourrait former un gouvernement minoritaire. Les Québécois n’aiment pas beaucoup Mulcair, soutient-il, même s’il est très intelligent, très articulé et probablement le plus compétent dans les deux langues depuis Trudeau. Mais leur dégoût absolu des conservateurs à la Harper va les pousser à voter pour le NPD. »
Claude Couture estime toutefois que les communautés francophones à l’extérieur du Québec auront tendance à voter libéral. « À cause de l’héritage de Pierre Trudeau et des langues officielles, les hors Québec se reconnaissent davantage chez Justin Trudeau. »
Le cas Jean Chrétien
L’historien franco-ontarien Serge Dupuis apporte une autre perspective. « Ce n’est pas parce qu’il est francophone, qu’un premier ministre fait avancer les politiques linguistiques. La langue maternelle n’est pas déterminante. C’est plutôt l’expérience personnelle qui marque l’approche au bilinguisme. »
Le stagiaire postdoctoral à l’Université Laval, donne l’exemple de Chrétien. « Il venait d’un milieu majoritaire et il n’a pas fait avancer la francophonie. » Il s’est montré intransigeant face aux souverainistes et, selon lui, plutôt indifférent envers les minorités.
Les quatre chefs francophones des 50 dernières années ne se ressemblaient pas, note-t-il. « Pierre Trudeau, Brian Mulroney, Jean Chrétien et Paul Martin étaient tous des avocats montréalais. Martin est un Franco-ontarien de l’Ontario qui a surtout appris le français au Québec. Trudeau était parfaitement bilingue, mais il était étranger à toute idée de communauté distincte, de langue première ou seconde. Il était dans la négation des minorités. Il est probable, poursuit Serge Dupuis, que Justin Trudeau partage la vision de son père. Il voit le bilinguisme comme un choix personnel. Je ne suis pas convaincu qu’il apporterait du nouveau aux questions linguistiques. Les minorités auraient plus d’espoir avec Mulcair, dit-il. Son parcours ressemble à celui de Brian Mulroney, un Anglo-Québécois qui a vécu en minoritaire, à Baie-Comeau, et plus sensible aux aspirations du Québec et des minorités. Mulcair a une mère franco-ontarienne et sa langue première est l’anglais, souligne l’historien, il a grandi en milieu minoritaire, à Laval. Il a travaillé pour Alliance Québec et pour l’Office de la langue française. Les questions linguistiques lui tiennent à cœur. »
À Halifax, Marie-Claude Rioux reconnaît aussi les atouts du chef néo-démocrate. « Parce qu’il a été un défenseur de la minorité anglophone, on peut s’attendre à ce que Mulcair comprenne la réalité des communautés francophones. Justin Trudeau a enseigné en Colombie-Britannique, il a peut-être été sensibilisé. Ce serait une excellente nouvelle d’avoir un francophone à la tête du pays, assure la directrice générale de la Fédération acadienne de la Nouvelle-Écosse. Mais souvent, les Québécois connaissent très peu nos réalités et comprennent moins nos besoins que des anglophones qui ont côtoyé des francophones en milieu minoritaire. »
Marie-Claude Rioux soutient que Stephen Harper ne mérite pas d’être exclu par les francophones. « On peut déplorer ses politiques, mais il commence tous ses discours en français. On a connu en Nouvelle-Écosse un gouvernement qui travaillait activement contre les francophones. Je n’ai jamais senti ça de la part de Harper. »