Premières Nations : la longue route vers la guérison
Shawna Oochoo, présidente de White Pony Lodge
Madame Oochoo a fait un émouvant témoignage lors d'une présentation au Relais de Saskatoon le 10 mars 2017.
Photo: Jean-Pierre Picard (2017)
C'est par la porte autochtone que je suis entrée dans l'univers des Prairies. C'était à la fin des années soixante, j'ai passé deux mois sur une réserve dans la région du Traité no 7 en Alberta*. J'avais quinze ans. J'ai ramené de ce séjour des images qui ne se sont jamais fanées: la vielle dame chez qui je prenais le thé tous les après-midi, le groupe rock qui s'appelait "The 7th Treaty", les pow-wows, l'immensité du ciel et le silence de la plaine. C'est là que j'ai appris à monter à cheval. C'est là aussi que j'ai vu à quoi ressemble un suicide.
Il faisait nuit quand on est venu nous chercher. Une femme s'était fait sauter la cervelle. Elle avait dit à son conjoint que s'il rentrait ivre une autre fois, elle se tuerait. Il est rentré ivre. Quand nous sommes arrivés, le corps et l'arme avaient été enlevés. Seul dans la cuisine violemment éclairée où s'était déroulée l'horreur, un petit garçon de 6 ou 7 ans essayait d'enlever les traces du sang de sa mère sur le mur.
C'est encore comme ça
Je raconte cette histoire parce que c'est encore comme ça. Cette désolation existe toujours. Le malheur frappe partout mais chez les Premières Nations, il frappe plus fort qu'ailleurs.
Les chiffres sont effarants. Au sein de la population autochtone, la proportion des femmes qui ont le SIDA est trois fois plus élevée que dans la population non-autochtone; 48% des enfants en familles d'accueil sont autochtones; 33,5% de la population autochtone est sans diplomation d'aucune sorte, contre 12,8% chez les non-autochtones.** Et ça, ce n'est que le début de la liste. On pourrait aussi chiffrer la pauvreté, les toxicomanies, la population carcérale, la violence conjugale, les femmes assassinées ou disparues.
La Saskatchewan est la 2e province avec le plus haut taux de population autochtone (15,6%). Saskatoon et Regina comptent parmi les villes les plus violentes au Canada. Il y a une corrélation directe entre le taux de population autochtone et le taux de violence dans les villes. Mais ce qu'on ne dit pas, c'est que cette violence se déroule essentiellement entre Autochtones. Ce qu'on ne sait pas, c'est que le gang de rue est souvent l'unique point d'ancrage.
La femme à la plume d'aigle : un visage humain sur les statistiques
C'est ce qu'a raconté Shawna Oochoo, la présidente de White Pony Lodge, le vendredi 10 mars 2017 au Relais de Saskatoon. Une plume d'aigle à la main, elle a livré un émouvant témoignage. Petite enfance sur la réserve avec les grands-parents; enfance avec une mère alcoolique qui la réveillait la nuit pour fuir un conjoint violent; gang de rue, prostitution à 13 ans, violée à 14 ans par 2 membres du gang; mère à 17 ans, hommes violents, alcool, drogues, séjours en prison. Elle a voulu mourir, elle ne l'a pas fait. À cause de sa fille. "Ma fille m'a sauvée la vie. J'ai grandi sans modèle, je veux être un modèle pour elle".
Aujourd'hui elle va mieux. Elle se raccroche aux valeurs transmises par ses grands-parents, ne se drogue plus depuis sept ans, ne boit plus depuis un an, travaille sans relâche pour le mieux être de son peuple et de son quartier, un des pires au Canada, Central-North à Regina. Et elle livre son témoignage qui donne un visage humain aux statistiques.
Ce sera long
Depuis quelques décennies, on assiste à une renaissance des cultures des Premières Nations, à l'émergence d'une affirmation identitaire, culturelle, politique, intellectuelle, artistique. Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation, publié en 2015, a été favorablement accueilli par l'Assemblée des Premières Nations.*** Il a fallu six ans pour préparer ce rapport. On ne peut qu'espérer qu'il ne faudra pas six ans pour mettre en application ses recommandations. Trop de générations ont été sacrifiées déjà.
Le racisme systémique, l'acculturation d'un peuple, sont des processus de longue haleine. Pour réparer tout ça, ça prendra du temps, de l'argent et de la persévérance. La route vers la guérison et la réconciliation sera longue. Mais elle ne pourra qu'enrichir toute notre société.
*Traité numéro 7 signé à Blackfoot Crossing en 1877
** Stats Canada 2008 & 2011; CAAN 2013
*** Commission de vérité et réconciliation: notre apartheid à nous (l'Eau vive - 11 juin 2015)