FRANCOPRESSE – L’industrie musicale francophone persiste devant la Cour fédérale pour obliger le CRTC à clarifier ses règles. Depuis 2012, l’industrie francophone considère avoir enregistré des pertes comparativement au secteur anglophone en raison de la modification de la licence Sirius XM.
Selon l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM), la révision de la licence de Sirius XM en 2012 a mené à une réduction des contributions à Musicaction, une organisation qui redistribue les redevances à l’industrie musicale francophone au pays.
C’était la première fois que le CRTC renouvelait des licences sans consulter l’ANIM. «Ça nous a empêchés de pouvoir réagir et ç’a eu une incidence monétaire sur l’ensemble de l’industrie musicale», déclare Clotilde Heibing, directrice générale de l’Alliance nationale de l’industrie musicale (ANIM).
Clotilde Heibing, directrice générale de l’ANIM, est fière du travail accompli, peu importe ce qui arrivera en Cour fédérale. Photo : Rachelle Richard-Léger
Ce renouvèlement a fait en sorte que les artisans de l’industrie francophone (incluant le Québec) reçoivent deux fois moins de financement de Sirius XM que leurs homologues anglophones.
«Quand on voit nos droits acquis remis en cause, on sait qu’au lieu de les voir s’améliorer, on va passer plusieurs années à revenir au niveau initial. C’est vraiment frustrant», lâche Clotilde Heibing.
«Jusqu’en 2012, les contributions étaient égales entre Musicaction et Factor, qui finance des projets anglophones», assure Audrey Mayrand, l’avocate chez Juriste Power qui représente l’ANIM.
Un premier mur
L’ANIM a porté plainte auprès du Commissariat aux langues officielles (CLO) en 2013 en accusant le CRTC d’avoir contrevenu à la Loi sur les langues officielles (LLO) en omettant la consultation.
Dans un rapport de 2018, le CLO a donné raison à l’ANIM avant de revenir sur sa décision en février 2019, à la suite d’un jugement de la Cour fédérale dans l’affaire opposant la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique et le gouvernement fédéral. Ce jugement, qui affectait l’interprétation de la LLO, a été partiellement infirmé par la Cour d’appel fédérale en janvier 2022, sans toutefois modifier la décision du CLO.
Le cas des centres d’aide à l’emploi
En 2008, le gouvernement fédéral a signé une entente qui permettait le transfert des services d’aide à l’emploi aux provinces. La Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) a contesté l’entente, mais ses arguments ont été rejetés par le juge Denis Gascon en 2018.
La question de compétences entre les paliers de gouvernement a donc eu une incidence dans le dossier de l’ANIM qui accusait une instance fédérale de ne pas avoir respecté ses obligations.
Une seconde déception
Selon des calculs de l’ANIM, l’inégalité dans les contributions de Sirius XM représente un manque à gagner d’environ 2,3 millions de dollars pour l’industrie musicale francophone en situation minoritaire, entre 2013 et 2019.
L’ANIM a décidé de porter l’affaire en Cour suprême. Le 29 juin dernier, le plus haut tribunal du pays a refusé d’entendre la cause qui avait pour objet une compensation pour les dommages et intérêts.
«La décision de la Cour suprême nous déçoit, mais s’entend quand on sait que de très nombreux dossiers sont présentés en comparaison de ceux qui sont entendus, concède Clotilde Heibing. Cela n’enlève en rien que le dommage est réel pour notre industrie.»
C–11 : «On a déjà gagné»
Mais la directrice générale de l’ANIM se veut optimiste depuis l’adoption du projet de loi C-11 sur la radiodiffusion, qui a reçu la sanction royale le 27 avril 2023. «Quelle que soit l’issue, on a déjà gagné. Ça, c’est un gain essentiel et tout le monde le reconnait.»
L’article 5 de la Loi sur la diffusion continue en ligne oblige le CRTC à consulter les communautés de langue officielle en situation minoritaire «lorsqu’il prend toute décision susceptible d’avoir sur elles un effet préjudiciable».
Concrètement, le CRTC ne pourra donc plus renouveler une licence de Sirius XM sans consulter l’ANIM. «Le CRTC ne peut plus utiliser l’excuse que “la LLO n’est pas claire si la Partie VII oblige la consultation”, affirme Audrey Mayrand. Maintenant, c’est très explicite.»
L’ANIM a d’ailleurs comparu devant le Sénat dans le cadre de l’étude du projet de loi C-11. C’est pour cette raison que, selon Clotilde Heibing, cette affaire a un impact qui va «au-delà de l’ANIM».
Prochaine étape
Mais l’affaire n’est pas close. «On continue à demander une reconnaissance de l’obligation de consulter [et] de l’obligation de réparer le tort pour rectifier les contributions à l’avenir», assure Audrey Mayrand.
Il n’y aura pas de compensation pour le passé, mais il pourrait y avoir une rectification du tir pour l’avenir, et c’est ce que demande désormais l’ANIM.
«L’enjeu pour ce litige est par rapport aux contributions pour le développement de contenu canadien, explique l’avocate. Est-ce que le CRTC va devoir le rectifier pour qu’il y ait des contributions égales aux industriels francophones et anglophones? À date, on ne connait pas leur position.»
«Si le CRTC souhaite, maintenant que C-11 est adopté, approcher l’ANIM avec des propositions, c’est sûr qu’on serait très ouvertes à ça», ajoute-t-elle.
Le CRTC a refusé nos demandes d’entrevue tant que l’affaire est devant la Cour fédérale.
Peu importe le dénouement, Clotilde Heibing est heureuse d’avoir poursuivi la lutte : «Sans contestation judiciaire, l’ANIM envoyait le message que le CRTC peut ne pas communiquer les informations essentielles au milieu de la musique et de tout ce qui est concerné par le CRTC, ce qui nous privait d’une capacité très importante de pouvoir réagir.»