Salle de cinéma
Crédit : Krists Luhaers – Unsplash
FRANCOPRESSE – En milieu francophone minoritaire, il ne fait pas bon être cinéphile. Le modèle de distribution et le manque de salles compliquent l’accès aux films en français, forçant les amoureux du septième art à courir les festivals et les évènements communautaires, ou à rester à la maison devant leurs écrans d’ordinateur ou de télévision. Plusieurs professionnels pointent du doigt la frilosité des distributeurs, qui évaluent le risque trop important pour se mouiller.
Vendredi soir, la fin de semaine s’annonce. Qui n’a pas connu cette soudaine envie de grand écran? L’expérience collective de la séance, le frisson de la salle obscure, cet endroit où le film trouve sa réelle dimension esthétique et physique, ce lieu de vie et d’enthousiasmes.
Des émotions qu’un cinéphile francophone aura bien du mal à vivre dans sa langue maternelle à Toronto ou Saskatoon. Il lui sera presque impossible de se rendre au cinéma à l’improviste. Il risque de rester à la maison devant une plateforme de lecture en continu, cherchant désespérément un contenu en français.
«Voir un film en français dans une salle hors Québec reste une gageüre», observe Denis McCready, producteur exécutif au Studio de la francophonie canadienne de l’Office national du film du Canada (ONF).
«Plus on va vers l’Ouest, plus c’est difficile de voir du cinéma de langue française. Il faut vraiment chercher», renchérit David Baeta, producteur exécutif à la maison de production Moi & Dave et président de l’Alliance des producteurs francophones du Canada (APFC).
Mélanie Clériot, directrice générale du Festival international du cinéma francophone en Acadie (FICFA), appuie le constat : «En général, on trouve seulement des traductions de superproductions américaines, et parfois quelques grosses productions du Québec ou de la France.»
Des distributeurs frileux
David Baeta est producteur à la maison de production Moi & Dave et président de l’Alliance des producteurs francophones du Canada.
Crédit : Simon Madore
L’état des lieux est double : les films québécois voyagent peu dans le reste de la francophonie canadienne et les longs-métrages francophones produits à l’étranger encore moins. Quant aux œuvres réalisées en milieu minoritaire, elles demeurent rares.
«Il y a un potentiel incroyable, mais l’industrie, encore jeune et peu financée, en est à ses balbutiements», observe David Baeta.
La frilosité des distributeurs explique en partie cette offre cinématographique si limitée. «À leurs yeux, la faible densité de population des francophones en milieu minoritaire ne justifie pas une diffusion à large échelle de titres en français», déplore Denis McCready. Car distribuer un film est un engagement financier important, rappelle le producteur : «Les distributeurs veulent un minimum de retour sur investissement, et ils estiment le risque trop important en situation minoritaire.»
L’absence de réseau de distribution francophone à l’extérieur de la Belle Province ne joue pas non plus en faveur d’un cinéma vivant. «L’industrie n’est pas sensibilisée à nos enjeux, à nos difficultés d’accès à la culture dans notre langue maternelle», souligne David Baeta.
Convaincre du «potentiel» des films en français
Denis McCready est producteur exécutif au Studio de la francophonie canadienne de l’Office national du film du Canada.
Denis McCready
Le manque de salles indépendantes dédiées, totalement ou en partie, aux œuvres francophones constitue un autre pan du problème. «Dès qu’on sort du Québec, elles se comptent sur les doigts d’une main», regrette Denis McCready.
Cineplex, la plus grande chaine canadienne de salles de cinéma, qui maille l’ensemble du territoire, programme principalement de grosses productions américaines. Contactée, elle n’a pas répondu aux demandes d’entrevues de Francopresse.
«Il faut réussir à convaincre les propriétaires de salles du potentiel “grand public” d’un long-métrage en français. Ce n’est pas impossible, mais c’est un défi. Ça nécessite de s’y prendre très longtemps à l’avance», commente Denis McCready.
Pourtant, les professionnels du secteur assurent que l’appétit de cinéma en français existe chez les francophones en milieu minoritaire.
«Baignés dans un environnement anglophone, ils se sont habitués à consommer des longs-métrages en anglais, mais le désir de regarder des contenus culturels dans leur langue maternelle est ancré en eux, insiste David Baeta. La manière de raconter des histoires est propre à chaque langue, véhicule une sensibilité particulière qu’ils recherchent.»
Le public francophone au rendez-vous
Mélanie Clériot est directrice générale du Festival international du cinéma francophone en Acadie.
Crédit : Anne-France Noêl
L’explosion du nombre de visiteurs sur le site de l’ONF, qui offre gratuitement 4000 titres en français, le confirme. Durant la pandémie, jamais autant de films et de documentaires n’ont été visionnés. Rien qu’en mars 2020, la plateforme est passée de 7000 à 25 000 visionnements par jour.
Mélanie Clériot du FICFA témoigne aussi d’un public fidèle de festivaliers, alors que l’évènement en est à sa 35e édition. L’an dernier, malgré la COVID-19, plus de 10 000 personnes des quatre coins du pays ont assisté à des projections exclusivement en ligne.
Mais au-delà des écrans d’ordinateur, comment les cinéphiles, petits et grands, peuvent-ils réussir à assouvir leur passion? Denis McCready et David Baeta évoquent la télévision, les chaines comme Radio-Canada ou Unis TV, qui diffusent de nombreux contenus cinématographiques en français.
«Les télédiffuseurs remplissent un rôle particulièrement important en matière de production jeunesse», ajoute Denis McCready. Le producteur cite notamment TFO, la chaine éducative et culturelle de langue française en Ontario.
L’ONF a également développé un portail éducatif, Campus, riche de 5 200 documentaires, films d’animation et courts-métrages en français. Du matériel pédagogique est également disponible pour les enseignants désireux d’utiliser ces œuvres dans leurs cours. «On a un million de jeunes spectateurs à travers le Canada», se félicite Denis McCready.
Des œuvres de qualité dans les festivals
En réalité, les amateurs de grands écrans sont bien souvent contraints d’attendre les festivals. «C’est la principale porte d’entrée pour voir des titres en français, ils jouent un rôle crucial», reconnait Denis McCready.
Le cinéaste mentionne notamment la centaine de projections organisées chaque année par l’ONF dans les salles communautaires et les bibliothèques du pays, à l’occasion des Rendez-vous de la Francophonie (RVF).
Des occasions «trop rares», selon David Baeta, qui permettent néanmoins d’avoir accès à des œuvres de qualité : «Ce n’est pas la même dynamique qu’aller au cinéma, mais c’est la meilleure manière de découvrir un large choix de contenus très divers.»
Les festivals braquent en effet les projecteurs sur des productions méconnues. «Ils donnent une vie commerciale à des films produits et distribués localement qu’on ne voit pas d’habitude», affirme Mélanie Clériot.
Cette année, le FICFA propose 90 œuvres issues de la francophonie, dont une trentaine de longs-métrages. Une Tournée scolaire est également au programme : pendant quinze jours, quatre œuvres jeunesse sont projetées à plus de 14 000 élèves francophones du Nouveau-Brunswick et de Nouvelle-Écosse. Une occasion unique, selon la directrice, de donner le gout du cinéma en français aux jeunes générations.