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Tribune libre

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Là où la terre rencontre le ciel

Là où la terre rencontre le ciel
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       Dans le sud de la Saskatchewan, dans les années 1860

  • Puis-je savoir quelles sont vos intentions une fois à Regina ? demanda Wilbur à Cathy.

Elle le regarda un brin incrédule.

  • Prendre mon salaire, l’additionner à mes économies puis continuer mon chemin vers l’Ouest. J’ai toujours la Californie en tête, vous savez.
  • C’est si important pour vous ? ajouta-t-il.

Bien évidemment que c’est si important. Où est-ce qu’il voulait en venir au juste ? Contrat terminé, j’ai bien apprécié j’avoue, mais à la revoyure monsieur de Montréal. Mes meilleurs vœux pour vos terres des Badlands et vos futurs projets brassicoles.

  • Tout autant que vos expériences de bières que vous voulez ramener à votre père, finit-elle par lui répondre. C’est votre rêve, moi j’ai le mien.
  • Devenir une « Madame » ?

Bon, le v’la t’y pas qui veut me faire la morale tout à coup. Ah ces bourgeois, pas capables de voir plus loin que la pointe de leur crucifix. Qu’est-ce qu’il s’imagine ? Que je puisse devenir autre chose, institutrice ou infirmière ; quoi d’autre ? Il ne va quand même pas s’imaginer que je vais aller gâcher ma jeunesse à pourrir dans les usines de textiles de la Nouvelle-Angleterre.

  • Oui, devenir une Madame. Pourquoi vous me le demandez ? C’est ma meilleure option.
  • C’est vrai. Le mariage ne vous intéresse pas !
  • Non, le mariage ne m’intéresse pas, et vous voulez savoir pourquoi ?

Bien que Wilbur eût aimé répondre qu’il ne voulait pas le savoir, ce n’aurait été qu’un grossier mensonge.

  • C’est bien simple, je préfère gambler au poker que de gambler avec n’importe quel soupirant qui veut essayer de me faire croire que j’ai conquis son cœur. C’est juste de la foutaise, déclama Cathy en haussant le ton.
  • Les hommes, c’est aussi pire qu’un paquet de cartes. On sait jamais sur quoi on va tomber. On peut espérer tourner le roi de cœur mais on se ramasse avec le deux de pique. C’est exactement ce qui est arrivé à ma mère. Le gentil petit bourgeois au joli minois, fils d’une famille aisée qui, au bout de la ligne, nous a fait tomber dans les gouffres de l’enfer avec même pas un avenir à espérer.

 Et ajoutant sans décolérer…

  • Avec les hommes, on ne sait jamais. Ils peuvent être riches et paraître gentils, mais ils sont distants et froids, plus intéressés à la piastre qu’au cœur de leur dulcinée. Beaux et séduisants, mais avec combien de maîtresses assises dans l’antichambre en ne laissant à l’épouse que les billets de banque que monsieur a bien voulu laisser tomber. Et tout le monde est convaincu que monsieur a la toute-puissance et la sacro-sainte vérité par rapport à la pauvre madame qui ne sait rien, comme si on était toutes pognées dans le même bateau.

Elle reprit son souffle sachant consciemment que sa tirade anti-masculine ne pourrait que se ramasser devant un mur bien garni de discrimination, de domination de mâles en face aux femmes de tête qui osent dire tout haut ce que trop d’entre d’elles voudraient bien exprimer sans vraiment savoir comment, tout en étalant au grand jour l’injustice dont elles sont victimes depuis si longtemps.

  •  Le mariage, non merci. Voyez-m’en bien désolée et je comprends votre point de vue chrétien qui veut qu’on voie la vie en couple avec le parfait monsieur et la parfaite madame. C’est juste pour les belles histoires. Les femmes se ferment la gueule parce qu’elles sont élevées à faire comme ça, mais c’est pas comme ça que ça marche. On est capable d’être bien plus que ce qu’on veut qu’on soit. Une épouse c’est pas une esclave. C’est une compagne. 

Le silence s’invita à nouveau, brisé uniquement par les pas réguliers du cheval. Wilbur, ne pipa mot durant une vingtaine de secondes, laissant la colère de Cathy s’estomper.

  • Et moi, je suis quelle carte là-dedans ? demanda-t-il finalement.

Cathy ne s’attendait pas à cette question alors elle y réfléchit avant de donner sa réponse.

Le huit de carreau.


Extrait d'un roman en chantier de Michel Clément se déroulant dans le sud de la Saskatchewan, dans les années 1860.