Carrie Bourrassa
Crédit : Twitter Laurentian University
FRANCOPRESSE – En novembre dernier, l’Université de la Saskatchewan a suspendu une professeure qui s’identifiait de descendance Métis, Anichinabée et Tlingit après qu’une enquête de la CBC ait révélé que ses ancêtres étaient plutôt européens. Une situation qui remet en cause les processus d’identification de l’identité autochtone dans les établissements postsecondaires
Carrie Bourassa était une figure importante de la recherche en santé des peuples autochtones.
Pendant 15 ans, elle a été professeure d’études en santé des Premières Nations à l’Université des Premières Nations du Canada (FNUniv), à Regina en Saskatchewan. En 2017, elle a été nommée directrice scientifique de l’Institut de la santé des Autochtones (ISA), situé à l’Université de la Saskatchewan.
En 2019, lors d’une conférence TEDx à l’Université de la Saskatchewan, Carrie Bourassa a déclaré publiquement : «Je suis Bear Clan. Je suis Métis et Anichinabée du territoire du Traité no 4.» Une déclaration qui a soulevé des questionnements quant à ses origines dans la communauté.
En 2021, une enquête menée par la CBC suggère que Carrie Bourassa n’a pas d’ascendance Métis, Anichinabée ou Tlingit, mais que ses ancêtres sont plutôt européens.
À la suite de plaintes sur la validité des origines autochtones de Carrie Bourassa, le président des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC), qui chapeautent l’ISA, a annoncé le 1er novembre sa mise en congé sans solde.
Deux semaines plus tard, soit le 17 novembre 2021, l’IRSC annonçait la fin définitive du mandat de Carrie Bourassa comme directrice scientifique de l’ISA.
L’Université de la Saskatchewan a suspendu Carrie Bourassa de ses fonctions depuis le début du mois de novembre, le temps de procéder à une enquête interne qui est toujours en cours.
Considérations légales entourant la divulgation de statut autochtone
La présidente de l’Association des professeurs de l’Université de la Saskatchewan, Patricia Farnese, qui est aussi avocate et professeure adjointe à la Faculté de droit de l’établissement.
Crédit : Patricia Farnese
La présidente de l’Association des professeurs de l’Université de la Saskatchewan, Patricia Farnese, qui est aussi avocate et professeure adjointe à la Faculté de droit de l’établissement, représente Carrie Bourassa dans le cadre de l’enquête interne menée par l’Université de la Saskatchewan.
«L’Université n’enquête pas sur le statut de [Carrie] Bourassa pour savoir si elle est Métis […] ils enquêtent sur sa fausse représentation. L’Université dit que la déclaration qu’elle [a faite] est une fausse représentation de qui elle est […] et que la fausse représentation a fait du tort à l’Université en ce qui concerne ses relations avec les Premières Nations et les autres communautés», affirme la présidente de l’association syndicale.
Le statut officiel de personne issue des Peuples autochtones n’était toutefois pas requis pour le poste de direction scientifique de l’ISA lorsque Carrie Bourassa a postulé, une situation qui a soulevé de nombreuses interrogations concernant les statuts demandés par l’Université de la Saskatchewan pour les postes réservés aux personnes autochtones.
Leta Kingfisher, professeure adjointe au Département d’études autochtones de l’Université des Premières Nations du Canada.
Crédit : Leta Kingfisher
Leta Kingfisher, professeure adjointe au Département d’études autochtones de l’Université des Premières Nations du Canada, affirme que les établissements devraient faire davantage de vérifications lorsque le statut est autodéclaré.
«Bien que l’identité autodéclarée ait été suffisante par le passé, cela n’est plus le cas», a déclaré dans une entrevue avec le Globe and Mail Dr Airini, doyenne et vice-présidente académique de l’Université de la Saskatchewan.
Patricia Farnese propose que l’Université mette en place des procédures afin de demander un statut officiel lorsque le poste l’exige.
«Je pense que l’Université a reçu une exemption de Saskatchewan Human Rights pour faire la promotion d’un poste [qui requiert un statut officiel d’Autochtone] à l’extérieur [de l’Université]. Donc, ils ne peuvent pas, de manière générale, demander l’ethnicité, le profil culturel ou le statut de Premières Nations parce qu’ils veulent le savoir, mais ils peuvent demander si les personnes veulent d’elles-mêmes divulguer cette information», précise-t-elle.
Carrie Bourrassa lors d’une annonce à l’IRSC en 2018.
Crédit : Twitter CIHR
Elle ajoute avoir été surprise d’apprendre de l’Université que le statut d’Autochtone n’était pas une exigence pour le poste de directrice scientifique de l’ISA qu’occupait Carrie Bourassa. «Le poste est de travailler avec les Premières Nations qui ont des problèmes de santé et il y a surement des avantages d’avoir quelqu’un qui a de l’expérience dans ce domaine», constate Patricia Farnese.
L’Université a plutôt adopté une politique de divulgation volontaire d’identité. «Nous [l’Université] avons établi une politique concernant la divulgation volontaire du statut, avec un programme d’équité. Nous pouvons avoir des programmes pour lesquels nous ciblons les gens pour fournir une équité aux communautés qui sont sous-représentées en éducation […] C’est un programme d’affirmation positive et le but est d’avoir l’équité», explique Patricia Farnese.
Afin de collecter ces informations, l’Université demande aux personnes qui souhaitent accéder à un poste de divulguer volontairement les informations concernant leur identité de genre, culturelle ou leur invalidité, s’ils le désirent. L’option «Je préfère ne pas répondre» est aussi disponible.
Impacts des déclarations dans la communauté autochtone et universitaire
La professeure Leta Kingfisher voit plusieurs conséquences à l’affaire Carrie Bourassa.
«Chaque fois que quelqu’un montre des compétences dans un domaine qui revendique des ancêtres issus des Premières Nations, mais que cette personne se révèle ne pas être d’ascendance autochtone, cela a beaucoup d’impact sur la communauté […] Un des défis avec la réconciliation est que les Premières Nations doivent parler pour elles-mêmes, et même elle [Carrie Bourassa], elle a reconnu que les Premières Nations ont le droit de parler pour elles-mêmes et qu’elle n’est pas issue des Premières Nations.»
À la suite de l’enquête de la CBC, Carrie Bourassa avait affirmé par voie de communiqué qu’elle était Métis d’adoption.
Le premier problème, selon Leta Kingfisher, est la question d’équité et de représentativité. Elle croit que Carrie Bourassa a occupé un poste qu’un membre issu des Premières Nations aurait pu obtenir, mais qu’elle l’a fait, en plus, de manière stéréotypée.
James Gacek, professeur adjoint au Département de justice sociale à l’Université de Regina.
Crédit : James Gacek
«C’est quelqu’un qui parle pour quelqu’un d’autre. Parler au nom des Premières Nations est discutable au niveau de l’éthique», précise la chercheuse.
Leta Kingfisher rappelle que même si Carrie Bourassa avait les compétences, elle a réussi à occuper des postes prestigieux sur des bases identitaires malhonnêtes.
James Gacek, professeur adjoint au Département de justice sociale à l’Université de Regina, abonde dans le même sens. «Cela va prendre du temps pour défaire les dommages que Carrie Bourassa a faits, pour réaffirmer que la santé des Premières Nations est importante, que la recherche en santé est importante.»
De nouvelles mesures à venir
Dr Airini, doyenne et vice-présidente académique de l’Université de la Saskatchewan.
Crédit : Courtoisie Université de la Saskatchewan
Dans un communiqué de presse datant du 27 novembre 2021, la Nation Métis Saskatchewan annonce qu’un accord, le premier du genre, a été signé avec l’Université de la Saskatchewan visant à s’assurer que l’Université pourra compter sur le registre vérifiable de citoyenneté Métis tenu par l’organisme pour confirmer l’admissibilité des Métis à accéder à des opportunités au sein de l’établissement postsecondaire.
Dr Airini affirme que l’Université a approché la Nation métisse de la Saskatchewan afin «de fournir une certitude en ce qui concerne […] l’identité autochtone. L’Université de la Saskatchewan est engagée à respecter l’autoresponsabilité des communautés autochtones pour confirmer les membres de leurs nations. Nous avons réalisé que nous devions [mettre les politiques de l’Université] à jour. L’historique, pour nous, est celle de bonnes pratiques que nous devons améliorer et c’est pour cela que nous travaillons avec la Nation métisse de la Saskatchewan.»
Angela Jaime, vice-doyenne en matière autochtone à l’Université de la Saskatchewan, affirme que «ce n’est plus seulement au niveau de l’auto-identification, mais aussi au niveau de la gouvernance autochtone, qui a le droit de déterminer le processus».
La doyenne et vice-présidente académique de l’Université de la Saskatchewan, Dr Airini, précise que «toutes les législations entourant les droits de la personne ainsi que le droit à la vie privée sont vérifiées. Nous avons des conseils légaux pour nous guider tout au long du processus. […] Cela va être nouveau de devoir prouver notre identité et nous voulons être respectueux, entièrement légaux et inclusifs.»