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Tribune libre

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Pourquoi je ne suis pas Charlie

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Manifestation à Paris, Place de la République, en soutien à Charlie Hebdo

Manifestation à Paris, Place de la République, en soutien à Charlie Hebdo

11 janvier 2015
Je suis choquée. Je suis triste. Je suis pour la liberté d’expression. Mais je ne suis pourtant pas Charlie.

La France a connu trois jours de terreur. Je ne m’éterniserai pas dessus, vous savez déjà ce qui s’est passé : des attaques terroristes menées dans Paris et sa banlieue entre le 7 et le 9 janvier 2015 ont mené à la mort de 20 personnes, dont les 3 meurtriers. Je préfère m’attarder aujourd’hui sur la situation avant et après ces attaques.

Charlie Hebdo, c’est quoi ?

En 1960, le journal s’appelle Hara-Kiri et parait mensuellement. Après un titre jugé irrévérencieux faisant référence à la mort de Charles de Gaulle, il est interdit de parution. Et quand il reparaît, il est renommé Charlie Hebdo, en référence à Charles de Gaulle. Déjà le goût des pieds de nez !

Chaque semaine on y trouve des articles d’investigation sur la politique et la religion, mais surtout l’hebdo est réputé pour ses caricaturistes et leurs dessins qui décortiquent l’actualité à coups de crayon. Mais au fil des numéros, les dessins se suivent et se ressemblent de plus en plus, s’attaquant souvent pour un oui ou pour un non aux mêmes cibles : les musulmans. En fait, mais ce n’est pas forcément visible au premier coup d’œil sur les dessins, ils ne se moquent pas des musulmans, mais des islamistes, une branche plus intégriste de l’Islam.

Quand en 2006 le journal danois Jyllands-Posten publie des caricatures du prophète Mahomet, Charlie Hebdo publie une édition spéciale reprenant non seulement les caricatures danoises mais en ajoutant d’autres de Cabu et ses collègues. Et c’est là que tout bascule.

Le journal, déjà peu apprécié des islamistes qu’il met en scène dans ses pages en les traitant de cons ou en les présentant dans des positions obscènes ou humiliantes, devient une cible. Et son directeur Stéphane Charb-Charbonnier fait son entrée sur la liste des personnes à abattre d’Al Qaida. La suite vous la connaissez…

Peut-on rire de tout ?

La polémique autour de Charlie Hebdo dépasse l’affaire des caricatures car des dessins borderline il y en a eu plein, et pas que sur les musulmans, tout le monde en a pris pour son grade : il y a eu des dessins jugés sexistes, racistes, islamophobes, anti-chrétiens/ juifs/ noirs… L’équipe du journal préférait les considérer “décomplexés”. Sous la casquette de journal satirique, on peut tout dire, tout tourner en dérision. Rire de tout, de tous, quitte à humilier les autres.

J’ai vu sur les réseaux sociaux beaucoup d’articles, dans toutes les langues, intitulés “Charlie Hebdo expliqué aux étrangers”, où le journal était présenté comme le digne descendant du genre satirique, représentant l’humour et le second degré propre à la France. L’image de la liberté d’expression à son summum. Si la vulgarité, le mauvais goût et la provocation sans fondement et sans argument sont représentatifs de l’humour et du journalisme à la française, permettez-moi de me désolidariser de cette définition.

Des héros de la nation ? Vraiment ?

Ne vous méprenez pas : bien sûr, je suis horrifiée par la barbarie de cette tuerie. Bien sûr, je ne cautionne pas que l’on tue en réponse à un article ou un dessin. Bien sûr, je trouve que c’était une attaque frontale à la liberté d’expression, même si je n’approuvais pas forcément la ligne éditoriale de Charlie.

Mais je ne cède pas à la vague d’émotion populaire qui veut nous faire croire que l’on doit tous être Charlie. Et les hommages à ces “héros” se multiplient : la compagne de Charb s’est exprimée sur les plateaux de TV pour dire que lui et ses collègues mériteraient d’être au Panthéon. (Et donc aux cotés de Zola, Pierre et Marie Curie ou Voltaire. Rien que ça…)

Seulement deux jours après l’attaque, le journal a également été nommé Citoyen d’honneur de la ville de Paris. C’est la première fois que ce titre honorifique est décerné à une personne ou à un organisme français. Pour référence, Nelson Mandela a également reçu “ce respect du aux héros” comme l’a elle-même défini la mairesse de Paris, Anne Hidalgo. Et partout, des dessins de leurs collègues présentent les quatre caricaturistes vedettes avec la mention “Des héros morts pour la France”.

On nous martèle les noms de Charb, Cabu, Wolinski, et Wignous, mais peu de mentions sont faites des clients innocents pris en otage dans le supermarché. De l’agent d’accueil de l’immeuble où se trouve la Rédaction. Et des policiers morts dans l’exercice de leurs fonctions. Beaucoup moins de personnes les qualifient de héros, mais pourtant, à bien y regarder…

Les marches organisées de par le monde, et surtout celle de Paris qui a rassemblé plus d'un million de gens, sont un mouvement citoyen comme on n’en a pas vu depuis longtemps. Elles sont l’expression de la résistance à la terreur, aux terroristes et à la bêtise humaine et inhumaine.

Je suis pour le mouvement. Juste pas pour le slogan. Je suis Cabu, Clarissa, Yoav, Wolinski, Frédéric Charb ou Franck, victimes innocentes. Je suis choquée. Je suis triste. Je suis pour la liberté d’expression. Mais je ne suis toujours pas Charlie.