Mal de Bloc : Le dur lendemain électoral des libéraux, conservateurs et démocrates
Observations de Jérome Melançon, de l'Université de Regina, sur les résultats électoraux
Le Canada se retrouve au lendemain des élections fédérales avec un gouvernement libéral minoritaire de 157 députés, construit surtout grâce au soutien de l’Ontario. La formation de Justin Trudeau obtient un second mandat pour gouverner après avoir repoussé les conservateurs de Andrew Scheer, cantonné à l’Opposition officielle avec ses 121 sièges.
Pour diriger le pays, les libéraux pourraient se tourner vers le Nouveau Parti démocratique de Jagmeet Singh, de retour au Parlement avec une équipe réduite à 24 élus. Le Parti vert de Elizabeth May compte un député de plus, au Nouveau-Brunswick, s’ajoutant à ses deux sièges en Colombie-Britannique.
Le résultat final donne 33,1 % du vote populaire au Parti libéral et 34,4 % au Parti conservateur. Les libéraux remportent 157 sièges, comparativement à 121 aux conservateurs, 32 au Bloc québécois, 24 aux néo-démocrates et trois aux Verts. Le Parti populaire a perdu son unique siège, celui du chef Maxime Bernier. Une indépendante a été réélue : l’ancienne ministre libérale Jody Wilson-Raybould, dans Vancouver-Granville.
S’il fallait choisir la campagne la plus réussie du scrutin du 21 octobre, la palme reviendrait sans doute au Bloc québécois. Moins d’un an après son accession à la chefferie, Yves-François Blanchet a triplé la députation de sa formation au détriment de chacun des grands partis nationaux.
« La percée du Bloc était prévue dans tous les sondages, note le politicologue Rémi Léger, mais quel succès ! Le chef a surpris durant cette campagne et le Bloc est à nouveau pertinent. » Dans la province, son parti a remporté 32 sièges, comparativement à 35 pour les libéraux.
Selon le chercheur de l’Université Simon Fraser, les Libéraux ont réussi à sauver les meubles. « Les derniers sondages prévoyaient entre 130 et 140 sièges et ils ont finalement réussi à en remporter près de 160. Cela dit, Justin Trudeau a ‘perdu’ cette élection, car les sondages en début de campagne prévoyaient un deuxième gouvernement majoritaire. »
Les conservateurs sont très déçus de leur performance, soutient Rémi Léger. « Les derniers huit ou neuf mois ont été très difficiles pour Trudeau, mais Scheer n’a pas réussi à capitaliser et convaincre les Canadiens. Son leadership sera remis en question par une bonne partie des membres. »
Le professeur de l’Université de Regina, Jérôme Melançon concorde. « Poussés vers le centre par la menace exagérée du Parti populaire du Canada, les conservateurs n’ont pas pu mobiliser le vote de centre droit. C’est là que l’élection s’est jouée, entre la promesse de coupures et la peur d’un gouvernement qui ressemblerait trop à ceux des Jason Kenney (Alberta) et Doug Ford (Ontario). »
L’approche du chef n’a pas fonctionné, selon lui. « Le Parti a surtout profité d’un retour de ses électeurs des Prairies et de la Colombie-Britannique, mais il n’a pas augmenté son vote populaire. La stratégie de Scheer allait à l’encontre des stratégies provinciales qui ont permis l’élection de tant de gouvernements de droite. Elle ne risque pas d’être réutilisée à l’avenir. »
Il est possible qu’aucun chef, mis à part Yves-François Blanchet, ne soit à l’abri des contestations. « Les verts ont remporté quelques sièges, explique Rémi Léger, mais les membres vont probablement se questionner sur le leadership. Elizabeth May avait le vent dans les voiles, mais dès le déclenchement de la campagne, les faux pas se sont multipliés et finalement le vent s’est tourné contre elle et son parti. »
Jagmeet Singh aurait généré de grandes attentes en fin de campagne, mais les résultats font défaut. « Les gens ne s’attendaient à rien du NPD, note Rémi Léger, mais le parti a réussi à remporter 23 sièges. On est très loin des chiffres de Jack Layton et de Thomas Mulcair. Le NPD est redevenu un tiers parti qui ne peut espérer former de gouvernement à Ottawa. »
Selon Jérôme Melançon, le chef Singh a sauvé le NPD de la disparition. « Mais il n’aurait pas pu augmenter la part du vote à lui seul. Son parti ayant commencé la campagne avec des coffres presque vides, il ne sera pas prêt à provoquer des élections de sitôt. S’il peut s’accrocher au nombre de sièges nécessaires aux Libéraux pour faire passer ses projets de loi, il ne détient pas pour autant la balance du pouvoir. »
Quant à Justin Trudeau, les libéraux devront déterminer tôt ou tard si leur confiance en son leadership les portera jusqu’aux prochaines élections. Avec un gouvernement minoritaire, il est possible que le retour aux urnes ait lieu avant 2023.
Au Manitoba, les conservateurs ont gagné deux sièges pour un total de sept et les néo-démocrates sont passés de deux à trois aux frais des libéraux, limités à trois. Dans Saint-Boniface-Saint-Vital, le libéral Daniel Vandal a été réélu, ainsi que le ministre Jim Carr, dans Winnipeg- Centre-Sud. Dans Winnipeg-Centre, le libéral Robert Falcon-Ouellette a été écarté en faveur de la néo-démocrate Leah Gazan.
La formation de droite a raflé tous les sièges dans les deux autres provinces des prairies, la Saskatchewan et l’Alberta. La vague bleue serait nourrie par un isolement sur le plan des ressources et un sentiment d’aliénation du pouvoir, concentré dans le centre du pays.
Le Parti libéral a réussi à tenir le coup, tant bien que mal, face à l’assaut des conservateurs, signale Jérôme Melançon.
« Il a perdu ses appuis dans les Prairies, ce qui ne surprendra personne ici, étant donné la force du sentiment anti-Trudeau. Mais il en a perdu beaucoup moins en Ontario et au Québec, là où se trouvent davantage de circonscriptions. Cette opposition virulente ne risque pas de s’estomper si les Libéraux cherchent à séduire les néo-démocrates. »
Quant aux enjeux du scrutin, on note encore une fois une marginalisation des préoccupations des Autochtones, selon le professeur de l’Université de Regina.
« On a très peu parlé pendant cette campagne des questions pertinentes aux peuples autochtones, des consultations, de leurs droits, des suites de l’Enquête nationale sur les femmes et filles disparues et assassinées, au contraire des dernières élections où la réconciliation a été un sujet au centre de la vision présentée par Trudeau. »
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