Angela James, directrice du secrétariat aux langues autochtones des TNO, accole l’anthropologue Serge Bouchard, qui vient de donner une conférence à Yellowknife, sur l’apprentissage d’une langue autochtone.
Photo : Gracieuseté
L’histoire d’un « amour intégral », racontée par Serge Bouchard à travers 50 ans d’intérêt et de passion pour les Premières Nations, les cultures, l’histoire, la distinction culturelle et sa beauté.
L’anthropologue Serge Bouchard, invité par l’Association franco-culturelle de Yellowknife, a donné une conférence portant sur l’apprentissage d’une langue autochtone, à une cinquantaine de Ténois rassemblés au Northern United Place, le 29 août 2017.
En 1969, Serge Bouchard se rend au Labrador, dans la forêt boréale, à Ekuanitshit (Mingan). Il va chez les Innus, qu’on a longtemps appelé Montagnais ou Montagnais-Naskapis, pour « apprendre la langue ». Il y passera cinq ans, immergé au sein d’une famille innue qui va tout lui apprendre de leur langue et de leur culture. Aujourd’hui en 2017, « 21 000 personnes parlent encore l’innu; à la maison, à l’école, en chanson, au cinéma, en littérature. Ils la parlent entre eux et l’apprennent aux enfants. Quand ils le font, ils te regardent la face, en faisant de grands gestes, pour interpeller et dire: la voici cette langue qui est bien vivante. Mais on peut se demander, avec seulement 21 000 locuteurs, ce qu’elle va devenir, car une langue [vivante], ça meurt. » À moins qu’on ne la transmette avec « amour » et respect. Un peu comme on le ferait lorsqu’on parle à un nouveau-né, pour lui apprendre sa langue.
Une langue humaine
Bien qu’il n’existe pas de recette miraculeuse pour maintenir une langue en vie, l’ethnologue propose quelques éléments de réponse pour le faire avec sa langue tout en prenant celle de son voisin en considération. « Une langue, ce n’est pas technique, ce n’est pas un truc légal comme on a pensé au Canada, à faire un pays bilingue. Une langue, c’est profondément humain. On la dit maternelle, c’est une phonétique, c’est une musique, ce sont des sons. C’est ce que l’humain fait de plus beau et pour les apprendre, pour s’entendre parler les uns les autres, il faut l’aimer. » M. Bouchard avance que cela doit passer par l’éducation, à l’école comme à la maison. Que l’on doit partager sa passion, sa fierté d’utiliser sa langue et le faire sentir à la société environnante.
Selon lui, il est aussi nécessaire pour les Canadiens de faire un effort de recherche, et de raconter à nouveau l’histoire du pays. Il faut aussi reconnaître l’existence des peuples qui ont vécu sur ces terres, à travers leurs vrais noms, leurs « ethnonymes » et l’endroit où ils se situent sur la carte. Pour se défaire des pratiques colonialistes et construire un pays multiculturel, il faudra aussi inclure dans son histoire les personnalités oubliées, comme les femmes, les Autochtones et les Métis, sans qui les Mackenzie, Franklin et autres explorateurs ne seraient pas allés si loin. Cette ligne de pensée était le thème de sa deuxième conférence, Les remarquables oubliés du Denendeh, qui a eu lieu le mercredi 30 août.
Langues à disparaitre
Difficile de quantifier le nombre exact de langues parlées à travers le monde, mais une majorité de scientifiques s’entendent sur un chiffre avoisinant les 7 000, dont 20 à 30 disparaîtraient chaque année. Une tristesse inouïe, pour l’anthropologue, qui voit dans la diversité linguistique une richesse culturelle inestimable. Selon les sources, on compte de 56 à 70 langues autochtones au Canada. L’organisation non gouvernementale américaine Ethnologue, du Summer Institute of Linguistics basé à Dallas, en dénombre 63, auxquelles on en ajoute 14 en voie de disparition avec seulement 2 à 50 locuteurs. Un des problèmes au Canada, « c’est qu’on a tout fait pendant l’histoire, pour les faire [désaimer]. Et par les Autochtones eux-mêmes, mais très certainement par les Canadiens en général. Et ça vaut aussi pour le français », assène M. Bouchard.