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L'article 23 de la Charte canadienne toujours devant les tribunaux

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Au cours des dernières années, il y a eu beaucoup de discussions dans la communauté fransaskoise concernant les meilleurs moyens d’assurer une éducation de qualité pour les élèves des écoles du système fransaskois. Certains disent qu’il faut une approche positive et des négociations de bonne foi avec le gouvernement tandis que d’autres affirment que les défis requièrent des solutions fortes comme les recours judiciaires.

Une approche n’empêche pas l’autre mais un facteur déterminant est sans doute la bonne foi de l’autre interlocuteur, le gouvernement provincial. Pour mieux comprendre ces rapports entre la communauté fransaskoise et le gouvernement de la Saskatchewan, il est utile de considérer l’histoire et l’évolution de la gestion scolaire en contexte minoritaire depuis l’entrée en vigueur de la Charte canadienne des droits et libertés. J’effectue justement un projet de recherche concernant la jurisprudence relevant de l’Article 23 de la Charte canadienne. 

Suite à l’entrée en vigueur de la Charte canadienne, le 17 avril 1982, les débats et les différences d’interprétation jaillirent de toute part concernant l’article 23 qui garantit aux minorités de langues officielles l’accès à l’éducation dans leur langue. Depuis le premier jugement rendu en septembre 1982 jusqu’en décembre 2015, nous avons dénombré 155 arrêts qui touchent l’article 23 d’une façon ou d’une autre. Il peut y en avoir quelques-uns de plus qui n’ont pas été déposés dans les banques de données de l’Institut canadien d'information juridique (CanLII).


Définir la portée de l’Article 23 ou régler des différents politiques?

On pouvait s’attendre que, suite à l’adoption de la Charte, les tribunaux aient à se pencher sur l’interprétation d’un article ou l’autre afin d’en définir la portée. Il est intéressant de noter que dans le cas de l’article 23, la première décennie (1980-1989) produit 29 arrêts ; on en dénombre 4 pour la décennie 1990-1999, 55 de 2000 -2009, et 47 depuis 2010. Donc il semble évident qu’au lieu de demander aux tribunaux de clarifier l’interprétation de l’article 23, ceux-ci sont utilisés pour régler des différents politiques, surtout contre des gouvernements qui ne veulent pas respecter les principes déjà établis. 

Dans les 155 arrêts identifiés à date, le Québec compte 38 jugements. Mais la situation du Québec est particulière. Il y a seulement une cause qui a traité d’une question d’édifice scolaire. Tous les autres jugements portent sur des requêtes de parents ou de gardiens non anglophones afin d’obtenir l’accès à l’école anglophone pour des enfants non-ayants droit. Il y a effectivement quinze arrêts de ce type qui consistent en de centaines de demandes d’admission qui sont regroupées ensemble par les tribunaux.

Les revendications hors-Québec sont très différentes. Les 117 arrêts représentent 38 causes car plusieurs sont entendues non seulement par un premier tribunal mais aussi par la Cour d’appel et dans neuf cas par la Cour suprême du Canada. Le Nunavut, le seul territoire ou province sans décision judiciaire, a présentement un recours judiciaire de déposé. Terre-Neuve et Labrador en compte un, le Manitoba deux, l’Alberta et l’Île-du-Prince-Édouard en comptent six chaque. Tous les autres territoires et provinces comptent dix arrêts ou plus.

Certaines causes sont très complexes, et les contestations acerbes entre les parties engendrent de nombreux jugements. C’est le cas par exemple au Yukon où une cause compte déjà 12 arrêts ; le Nouveau Brunswick dont une cause a produit neuf arrêts ; le Territoires du Nord-Ouest dont deux causes ont généré 16 jugements, et six causes en Colombie Britannique comptent présentement un total de 24 jugements, avec un long procès qui a pris fin en décembre 2015. Les arguments seront conclus en Janvier 2016. Dans tous ces jugements hors-Québec, 83 ont une importance particulière sur la jurisprudence de l’article 23.


L’Arrêt Mahé en 1990: les choses commencent à progresser 

Durant la première décennie, ce sont surtout des regroupements de parents et des individus qui intentent des poursuites contre leur gouvernement. Leurs revendications portaient surtout sur le droit à l’instruction, le droit à des écoles francophones et éventuellement au droit à la gestion non seulement d’écoles mais aussi de commissions scolaires autonomes.

Au départ, les gouvernements étaient très réticents pour élargir l’accès à l’éducation en français et encore moins pour ouvrir la question de la gestion. Ils utilisaient l’ambigüité du concept « lorsque le nombre le justifie » pour refuser toute concession. Ce n’est qu’avec les jugements de la Cour suprême du Canada dans Mahé en Alberta en 1990 et le Renvoi du Gouvernement du Manitoba en 1993, que certains progrès furent réalisés concernant la gestion scolaire en contexte francophone minoritaire.

Entre autre, l’arrêt Mahé détermine que la population francophone d’Edmonton est suffisamment nombreuse pour justifier le droit à l’instruction primaire et secondaire en français, dans des établissements autonomes de la minorité sous la gestion et le contrôle des représentants de la minorité en proportion du nombre des élèves dans des conseils scolaires de la majorité. Ces représentants de la communauté francophone devaient avoir le plein contrôle sur la gestion de ces écoles ce qui inclut le droit de déterminer les budgets, d’embaucher les enseignants, de nommer la direction, d’établir les programmes et de faire toute entente nécessaire pour l’éducation et les services des élèves dans la langue de la minorité.

L’arrêt Mahé stipule par contre, que ces droits sont à échelle variable selon les nombres, sans définir clairement les nombres requis pour accéder aux différents niveaux de service et de contrôle. Comme premier jugement sur l’article 23, cet arrêt affirme que le nombre d’étudiants ayants droit à Edmonton ne justifie pas une pleine gestion scolaire autonome mais plutôt une gestion fondée sur une représentation proportionnelle. Ce principe sera rapidement dépassé par des décisions politiques subséquentes qui ont accordé des commissions scolaires autonomes.

Suite à l’arrêt Mahé et aux revendications des communautés francophones, la plupart des provinces établirent la gestion scolaire des écoles francophones durant la deuxième moitié des années 1990s. On pourrait croire que suite à ces développements, l’éducation des ayants droit francophones deviendrait une partie normale des systèmes d’éducation canadiens. Tel ne fut pas le cas à voir les nombreuses causes des années subséquentes. Deux autres jugements de la Cour suprême contribuèrent d’autres éléments importants à cette jurisprudence : Arsenault-Cameron et Doucet-Boudreau.

La décision Arsenault-Cameron de l’Île-du-Prince-Édouard rendue par la Cour suprême en 2000 statue que si un Ministre d’éducation a une certaine discrétion dans le choix des moyens pour rencontrer les obligations constitutionnelles de l’article 23, il n’a pas de discrétion quant au respect ou au non-respect de ses obligations. L’arrêt affirme que le droit constitutionnel de gestion et de contrôle d’un conseil scolaire de la minorité comprend le droit de déterminer la meilleure façon de fournir l’instruction dans la langue de la minorité y inclus l’emplacement de ses écoles.

En Nouvelle-Écosse, un groupe de parents poursuit son Gouvernement jusqu’en Cour suprême afin d’obtenir la construction d’écoles secondaires selon leurs besoins. Dans le jugement Doucet-Boudreau (2003), la Cour suprême infirme le jugement de la Cour d’appel (2001) et réaffirme le jugement en première instance du juge LeBlanc de la Cour supérieure (2000). La Cour suprême confirme l’exigence de la Cour supérieure demandant que le ministère de l’Éducation se présente devant son tribunal à intervalles réguliers afin de rendre des comptes sur les progrès réalisés pour respecter la décision du tribunal. La Cour suprême confirme l’ordonnance initiale du juge LeBlanc d’assurer la construction prompte de cinq écoles secondaires et de voir à la réparation des torts subis par les familles en question du aux délais de la province.

Dans l’ensemble, les luttes judiciaires des premières années ont porté sur le droit à l’instruction et à des établissements, à l’admission, aux systèmes de transport, à la gestion scolaire et à une éducation de qualité équivalente. Mais malgré quatre jugements favorables de la Cour suprême entre 1982-2003, certaines des mêmes revendications apparaissent toujours dans les litiges subséquents. De fait, de 2005 à aujourd’hui il est toujours question de l’accès à des écoles homogènes adéquates et à des installations spécifiques comme des gymnases et des laboratoires, à l’agrandissement ou la construction d’écoles et à un service d’autobus adéquat.


De nouvelles revendications

Par contre de nouvelles revendications apparaissent. Il y a, entre autres, la question du sous-financement, l’inclusion du préscolaire et les divergences d’opinion quant à la signification du terme « l’éducation équivalente », établit dans Mahé, à savoir si équivalent veut dire identique, ou équitable, ou « des résultats équivalents ».

La Cour suprême s’est prononcée sur la question d’équivalence en faveur de l’Association des parents de l’École Rose-des-vents en Colombie-Britannique en 2015. Une autre revendication récente est la gestion du droit d’admission, la définition d’ayant droit et l’accueil de non ayants droit. Tandis que plusieurs provinces ont délégué ce pouvoir aux conseils scolaires francophones, le Yukon, les Territoires du Nord-Ouest, la Saskatchewan et la Colombie-Britannique se réservent ce droit, souvent devant les tribunaux, afin de restreindre l’admission aux écoles francophones pour des raisons idéologiques et budgétaires. 

Les questions d’éducation équivalente, de sous-financement opérationnel et en capitalisation et du contrôle des admissions demeurent au cœur des litiges actuels. Ces demandes peuvent être réunies sous la rubrique de réparation historique. Il est intéressant de noter que les 46 jugements hors-Québec depuis 2010 sont tous du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest, de la Saskatchewan et de la Colombie Britannique.

Dans cette dernière, le Conseil scolaire francophone, frustré de poursuivre ses nombreuses revendications sans fin, les a regroupées en une méga-cause qui est toujours devant le premier tribunal après deux ans de démarches. Les revendications sont l’agrandissement de quatorze écoles et l’assurance du financement adéquat pour toutes ses écoles, à un coût total estimé à plus de 350 M$. Au Nouveau Brunswick, des intervenants dont l’Association des enseignants et enseignantes francophones du Nouveau Brunswick ont intenté une poursuite de 11,5 M$ portant uniquement sur « l’enveloppe égalitaire », suite à l’échec de médiation avec son gouvernement réfractaire.

La décision récente de la Cour suprême dans Rose des vents crée sans doute beaucoup d’anticipation favorable pour les francophones en contexte minoritaire à travers le Canada. Il reste à voir si les tribunaux continueront à favoriser une interprétation libérale des droits linguistiques et préconiser la réparation historique implicite dans l’article 23, tel que reconnu dès l’arrêt Mahé, ou s’ils se retrancheront à l’interprétation restrictive des droits scolaires préconisée au cours des dernières années par les gouvernements plus récalcitrants.

Que la stratégie des parents et des commissions scolaires en soit une de négociation ou de recours judiciaire, il semble évident que les droits scolaires ont rarement avancé sans l’intervention répétée des tribunaux. L’article 23 de la Charte demeure vide de droits tant que les ayant-droits n’exigent pas la pleine mise-en-œuvre. Dans ces revendications, les Francophones de la Saskatchewan sont loin d’être seuls.