Le Premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall
MONTRÉAL - À l'unanimité, les maires de la Communauté métropolitaine de Montréal s'opposent au projet d'oléoduc Énergie Est de TransCanada, estimant qu'il représente "d'importantes menaces environnementales". Leur opposition a fait grincer des dents dans l'Ouest canadien.
C'est le maire de Montréal, Denis Coderre, également président de la CMM, qui a annoncé la nouvelle, jeudi, au cours d'une rencontre avec la presse, entouré de plusieurs maires de la région.
"J'ai toujours dit que c'était du 'oui mais'. Mais le 'mais' pouvait être fatigant. Alors, on est maintenant dans le 'non', à la lumière de tout ce qu'on a établi", a résumé le président de la CMM.
En plus des risques écologiques, il a fait valoir que le projet entraînerait peu de retombées au Québec aux plans économique et des emplois, puisque l'oléoduc ne ferait que traverser le territoire.
Bien que la CMM n'ait pas de prise légale pour empêcher le projet, le maire Coderre estime qu'elle a une forte autorité morale et qu'elle se fait l'écho de l'opposition des citoyens. La CMM a d'ailleurs l'intention de défendre son point de vue lors des prochaines consultations sur le projet par le Bureau d'audiences publiques sur l'environnement et l'Office national de l'énergie.
"On n'a pas attendu pour regarder si c'est constitutionnel ou pas. On est devenu incontournable et on a démontré notre pertinence tout en étant percutant. On travaille de façon sérieuse. Vous avez des entreprises maintenant qui comprennent que si on veut que les choses fonctionnent, on doit travailler en collaboration et de façon inclusive. Si vous regardez à la lettre: 'ah on n'a pas le pouvoir de faire telle affaire ou telle affaire'. Mais à la lumière du travail qu'on a fait et des gestes qu'on a posés de par le passé, sur ce dossier, on a établi non seulement notre crédibilité, mais notre incontournabilité. Et on parle aussi aux ministres", a fait valoir le maire Coderre.
Et bien que le prix du baril de pétrole ait chuté, rendant bien des projets moins rentables, M. Coderre ne croit pas que la prise de position de la CMM soit maintenant obsolète.
"Je ne regarde pas par rapport à la Bourse; je regarde par rapport à la qualité de vie des gens et puis à l'avenir de notre planète. C'est un dossier de développement durable. Et, un moment donné, le pétrole, il va augmenter. Nous, on ne peut pas attendre le prix de la Bourse", a répliqué M. Coderre.
Réactions
Le premier ministre de la Saskatchewan, Brad Wall, un fervent défenseur du projet, s'est fait cinglant dans ses commentaires. "C'est un jour triste pour notre pays quand des leaders d'une province qui profite du fait d'être canadienne font preuve de repli sur soi face à un projet qui bénéficiera à tout le Canada, y compris à ces municipalités québécoises", a-t-il fait savoir par voie de communiqué.
Par l'intermédiaire des médias sociaux, M. Wall s'est fait encore plus mordant: "je suis convaincu que les maires de la région de Montréal vont poliment rembourser leur part des 10 milliards $ de paiements de péréquation auxquels l'Ouest du pays a contribué".
Malgré ce non catégorique des maires de la métropole, TransCanada s'est dite ouverte au dialogue. "Nous continuerons à écouter les élus et autres parties prenantes partout au Québec, puisque nous prenons leurs préoccupations au sérieux", a fait savoir l'entreprise par voie de communiqué.
Elle assure que les oléoducs demeurent un moyen de transport sécuritaire. "Les pipelines demeurent le moyen le plus sécuritaire de transporter du pétrole et d'autres produits dont les Québécois ont besoin _ plus sécuritaire que le transport ferroviaire. Un pipeline fonctionne à l'électricité et non pas au diésel comme un train", fait valoir TransCanada.
"Il est évident que les gens ont des préoccupations au sujet de la sécurité du pipeline et de la protection de l'environnement. Nous partageons ces préoccupations et nous travaillons pour faire d'Énergie Est un oléoduc sécuritaire et fiable", a ajouté TransCanada.
En Alberta aussi, on a pu entendre des répliques cinglantes. Le chef du parti Wildrose, Brian Jean, a dénoncé "l'hypocrisie" du maire Coderre, qui rejette des milliers de litres d'eaux usées directement dans le fleuve, puis se plaint du risque environnemental que pose un projet d'oléoduc.
Le chef de l'opposition albertaine a également reproché au maire Coderre d'acheter du pétrole provenant de dictatures politiques et de rejeter le pétrole qui provient "de ses amis de la fédération" canadienne.
Du côté des Manufacturiers et exportateurs du Québec, le président Éric Tétrault a nié que ce projet engendre peu de retombées économiques et de création d'emplois au Québec, comme l'ont soutenu les maires.
"Il faut prendre cette sortie-là pour ce qu'elle est: ce sera une pièce, mais une des nombreuses pièces qui seront au dossier de l'Office national de l'énergie et du BAPE lorsque viendra le temps d'étudier, d'analyser le dossier", a conclu M. Tétrault.
Présents à la conférence de presse, les groupes écologistes Équiterre et Greenpeace se sont réjouis de l'opposition des maires de la CMM.
Steven Guilbeault, d'Équiterre, a rejeté l'argument voulant que si le pétrole ne transitait pas par oléoduc, il transiterait de toute façon par train.
"Cet argument-là de 'si on ne fait pas le pipeline, il va y en avoir plus par train', c'est de la bouillie pour les chats, parce qu'on peut transporter par train une fraction du pétrole qu'on peut transporter par pipeline", a objecté M. Guilbeault.
Patrick Bonin, de Greenpeace, estime que même si les maires n'ont pas de poigne légale pour empêcher le projet d'oléoduc, ils ont un poids moral certain.
"À partir du moment où la CMM prend position comme ça, c'est près de la moitié de la population du Québec. Et le gouvernement Trudeau l'a dit clairement: ce sont les communautés qui vont autoriser les projets. Et là, c'est une fin de non-recevoir; ce n'est même pas conditionnel", a souligné M. Bonin.
Le projet d'oléoduc Énergie Est de TransCanada, sur 4600 kilomètres, vise à transporter 1,1 million de barils de pétrole des sables bitumineux de l'Alberta jusqu'à Saint-Jean, au Nouveau-Brunswick. Au Québec, on prévoit 625 kilomètres de canalisation à construire. La facture du projet a récemment grimpé à 15,7 milliards $ et la mise en service est prévue maintenant en 2020.
La CMM regroupe 82 municipalités qui représentent 3,9 millions de citoyens.