Plaines aquarelles
Plaines aquarelles est un projet de recueil de courts poèmes et d’aphorismes poétiques inspirés par des dessins à l’aquarelle. Une cinquantaine de vignettes composeront ce recueil. Chacune d’elles consistera en une peinture inspirée par le paysage des Plaines et des réflexions poético-philosophiques.
Coquelicots transtemporels
ces petites touches écarlates venues du fond de l’enfance
persistent comme des éclats de sang vifs
sur mes rétines blasées de grande personne
L’idée de ce recueil sur la Plaine est née de la crise du COVID-19. Mes projets de voyage, de théâtre et de retraite d’écriture ayant tous été annulés ou remis au plus tôt à l’automne, je me suis retrouvé ici face à la Plaine.
Les amis proches s’étaient retranchés chez eux par prudence. Le sentiment d’isolement était aggravé par l’impression d’être en exil car, après deux décès récents dans ma famille proche, je me trouvais encore en état de deuil. L’impossibilité de nous retrouver physiquement fut vécue douloureusement par tous les membres de notre famille. Bref, la plate immensité de la Plaine avait tout de la prison, comme l’était la mer pour Papillon, le célèbre bagnard.
J’en voulais à la Plaine de me retenir dans ses trop grands espaces, loin de mon pays natal et de mes proches. Qu’elle n’ait aucune responsabilité dans tout ça importait peu, c’est elle qui m’isolait du reste du monde. Il y a des jours d’avril ou de mai où je l’ai haïe.
Que faire ? La situation était critique. En mai, une rencontre virtuelle avec d’autres artistes fransaskois montra qu’au-delà du sentiment de claustrophobie, nous tous souffrions d’un excès de doute, d’anxiété et d’une créativité en panne. Bref, une sorte de « petite mort » pour des artistes comme nous.
À mesure que la pandémie s’étirait dans le temps, il parut que la remise en question de notre façon de vivre et de notre point de vue était à la base de cette sensation de vide. La solution était ici et pas ailleurs. Je m’interrogeais : où en étais-je de ma relation avec les Prairies ? Comment vivais-je aujourd’hui cette vaste Plaine, moi, ancien enfant des montagnes ? Comment, moi, qui fut longtemps un habitué des ascensions audacieuses, percevais-je ce vaste espace planaire ? Fallait-il que je prépare à mettre un terme à mes 30 ans de vie ici ?
La Plaine avait-elle des réponses à tout ça ? Peut-être, mais avais-je vraiment envie de dialoguer cette « grande muette » qui m’étouffait ?
J’ai commencé par consulter mes notes et dessins de ces 15 dernières années. J’ai découvert que nous n’avions pas cessé de nous parler par le dessin et l’écriture. Elle a accompagné mon parcours de mari, père, scientifique et, plus tard, celui d’écrivain et d’art-thérapeute, bref presque tout. J’ai décidé de rassembler les vignettes de ces 10 dernières années et de le compléter avec de nouvelles.
Le procédé que j’utilise pour ce dialogue est une sorte d’écriture-dessin automatique. Il m’est venu spontanément il y a une vingtaine d’années : j’ouvre ma palette d’aquarelles et me laisse attirer par une couleur. (couleur-humeur, couleur-souvenir, couleur-paysage, etc.)
J’y trempe mon pinceau et ensuite vient le dessin, le geste. Il y a des gestes-désirs ou crainte, des gestes-questions (si nombreux !), des gestes-protections, etc. Bien sûr, la couleur influe le geste. Le bleu d’azur est plus aérien que le gris ou le brun, concrets et solides. Le dessin final contient mon vécu et ma personnalité à la manière des idéogrammes qui contiennent celle des calligraphes chinois.
C’est donc tout naturellement, qu’après, viennent les mots. Comme la Plaine est un vaste espace, ces écrits vont dans toutes sortes de directions, parfois concrets et terriens, parfois aériens. Badland des pertes, horizons des espoirs fous, saisons-nostalgie, c’est tout une géographie intérieure qui émerge ici.
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