Le nouveau commissaire aux langues officielles avance sur des œufs
Premier rapport annuel de Raymond Théberge
Raymond Théberge
Le commissaire aux langues officielles, Raymond Théberge, entend prioriser l’adoption d’une modification législative « pour disposer d’un mécanisme d’exécution efficace à l’égard d’Air Canada ».
Photo : CLO
Moins de cinq mois après son entrée en fonction, le nouveau commissaire aux langues officielles du Canada a lancé son premier rapport annuel le 12 juin 2018. Dans une préface intitulée Prendre le train en marche, Raymond Théberge adopte un discours de transformation où il brandit davantage la carotte que le fouet.
« C’est un rapport timide avec des constats qui ne sont pas surprenants, avec beaucoup de descriptifs de problèmes constatés dans le passé et des recommandations portant sur des questions administratives et procédurales » note d’emblée l’avocate Anne Lévesque. La préface est marquée par des expressions de type relationnel : sensibiliser ou inciter les institutions, prendre des mesures, maintenir un dialogue, surveiller de près, appeler à l’action et multiplier les interventions. Le rapport de 29 pages ne paraît présenter ni nouvelles idées ni vision. Une partie du rapport annuel est consacrée à l’enjeu de la modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) revendiquée par les communautés francophones, un comité sénatorial et le bureau du commissaire en 2017, et que le premier ministre Trudeau s’est engagé à faire le 6 juin.
Une division responsable de recours et sanctions
Lors d’un rapport du mois dernier sur la modernisation du Règlement sur les langues officielles, l’officier du Parlement a renvoyé aux comités des langues officielles au Sénat et aux Communes la responsabilité de réviser la réglementation et de proposer des solutions.
Cette approche lui a valu les critiques du sénateur Serge Joyal, estimant que le commissaire doit lui-même s’engager à redéfinir son rôle. Mais avant de se prononcer sur des changements éventuels, Raymond Théberge mène une consultation nationale qui lui permettrait à l’automne de se positionner. La consultation et le dialogue sont une force, souligne Anne Lévesque. « Mais il ne faut pas oublier que les droits linguistiques comportent des obligations constitutionnelles et qu’il faut les revendiquer devant les tribunaux. C’est ce que beaucoup de groupes revendiquent dans la refonte de la Loi. »
Ce n’est pas une option que semble privilégier le commissaire. Dans son examen des changements législatifs proposés, Raymond Théberge tient à renforcer « les rôles de promoteur et d’éducateur du commissaire ». Lorsqu’il a commenté le cas Air Canada, le plus important délinquant de la LLO, Raymond Théberge a pris ses distances du projet de son prédécesseur Graham Fraser et du Comité des langues officielles des Communes de créer au sein du Commissariat « une nouvelle division administrative responsable des recours et des sanctions ».
Le commissaire encourage le gouvernement à prioriser ce dossier « afin de déterminer les modifications législatives nécessaires pour disposer d’un mécanisme d’exécution efficace à l’égard d’Air Canada ». Mais dans une entrevue à La Presse canadienne en février dernier, il a émis des réserves quant à l’effet dissuasif d’infliger des amendes à Air Canada.
Anne Lévesque, avocate
L’avocate Anne Lévesque a défendu des causes en matière d’égalité pour les Premières nations et pour les minorités francophones.
Photo : Gracieuseté
Un meilleur protecteur que les commissaires ?
Anne Lévesque déplore que l’officier du Parlement ne traite pas les droits linguistiques comme des droits de la personne. « Il y a un manque d’analyse à partir de l’approche des droits de la personne (à savoir) comment les violations des droits linguistiques affectent les communautés les plus vulnérables. Ce qui manque, c’est une analyse comparative entre les sexes, sur les nouveaux arrivants et les personnes avec déficiences. »
Selon Anne Lévesque, le commissariat bénéficierait de cette approche qui reconnait les communautés de langue officielle comme des ayants droit. « Ça veut dire qu’il y a des obligations de protéger ces droits et que les responsables des violations soient punis par des mesures préventives et dissuasives. »
« Il y a un manque dans le rapport du commissaire sur comment les communautés en situation minoritaire sont affectées par les violations et si certains membres sont plus vulnérables que d’autres. Ce rapport est vraiment une analyse très simpliste des droits qui manque de nuances et de profondeur. « On se trouve dans une situation, conclut-elle, où le gouvernement est un meilleur protecteur des droits des minorités que les commissaires qui ont ce mandat législatif. »
Réactions fransaskoises
Assemblée communautaire fransaksoise
Dans son rapport, le commissaire aux langues officielles dénote une hausse significative du nombre de plaintes émises en Saskatchewan. En moyenne, la Saskatchewan génère environ de 8 à 10 plaintes annuellement. Cette année, le nombre de plaintes recueillies s’élève à 25.
Le président de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF), Roger Gauthier, a affirmé qu’« il est important que les citoyens fassent des plaintes lorsqu’ils sentent que la Loi n’est pas respectée. Les plaintes déposées au sujet des services en français dans nos aéroports et de la situation des agents unilingues anglophones de la GRC à Gravelbourg ont été parmi les plaintes les plus significatives concernant l’absence de service en français en Saskatchewan cette année ». Un agent francophone de la GRC a, depuis lors, été posté à Gravelbourg.
Le rapport de Raymond Théberge suit l’annonce faite la semaine dernière par le premier ministre du Canada qui affirmait que son gouvernement serait actif en ce qui concerne la modernisation de la Loi sur les langues officielles. « Dans un contexte où la Loi sur les langues officielles sera modernisée, il est important de reconsidérer le rôle du Commissaire aux langues officielles et de lui donner une plus grande capacité d’action », a ajouté Roger Gauthier.
L’ACF soutient l’initiative de la Fédération des communautés francophones et acadiennes qui a l’intention de développer un projet de loi, qui sera présenté au gouvernement à l’automne.
Conseil des écoles fransaskoises
Dans son rapport, le commissaire le commissaire souligne qu’une enquête est en cours suite à une plainte liée à l’entente en éducation signée entre Patrimoine canadien et la province de la Saskatchewan. En entrevue à Radio-Canada, le président du Conseil des écoles fransaskoises (CSF), Alpha Barry, s’est dit heureux que le commissaire ait abordé la nécessité de déployer des efforts dans le domaine du financement de l’éducation au niveau provincial.
Monsieur Barry se réjouit également de la volonté de moderniser la Loi sur les langues officielles. Il espère que ce sera l’occasion d’accorder aux conseils scolaires un droit de regard sur les fonds alloués à l’éducation francophone en milieu minoritaire car, selon lui, il y a. « une absence de transparence dans l'usage et la distribution des fonds en Saskatchewan ».
Les recommandations du commissaire Théberge
1- Puisque le greffier du Conseil privé a placé la langue de travail au cœur des priorités de la fonction publique dans le cadre de son rapport intitulé Le prochain niveau : Enraciner une culture de dualité linguistique inclusive, le commissaire lui recommande d’établir un mécanisme approprié afin d’informer annuellement les employés fédéraux de l’état d’avancement des travaux du comité chargé de la mise en œuvre des recommandations formulées dans le rapport.
2 - Le commissaire recommande que Patrimoine canadien et le Conseil du Trésor réalisent un examen de leurs outils en place pour évaluer les institutions fédérales et apportent les modifications nécessaires pour dresser un portrait clair de la situation des langues officielles au sein de l’appareil fédéral.
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