Élections fédérales : Qu’attendent les Fransaskois ?
La campagne touche à sa fin. Depuis plus d’un mois, les six partis fédéraux sont en lice pour convaincre les Canadiens. Mais qu’en est-il des francophones dans cette course électorale ? Éducation, santé, dualité linguistique, justice… Les enjeux sont nombreux pour la minorité. Avec un objectif avant tout : ne pas être laissée de côté.
Ce 21 octobre, les Canadiens auront tranché. Constat décevant, durant tous les débats qui ont ponctué la campagne, les enjeux francophones auront peu fait surface. « Beaucoup des candidats sont ‘franconaïfs’ », estime Denis Simard, président de l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF). Son organisme a d’ailleurs rencontré tous les partis pour les sensibiliser, en espérant qu’ils deviennent « francoresponsables ».
« N’oubliez pas qu’on est là »
L’enjeu est d’autant plus fort que le poids démographique des francophones dans l’Ouest canadien est souvent très faible. En Saskatchewan, ils constituent 5 % de la population d’après le Commissariat aux langues officielles. « Dans la majorité des cas, les plateformes politiques ne nous incluent pas », regrette ainsi Denis Simard.
Exemple avec la santé : « On va parler des services de façon générale, mais les enjeux francophones ne ressortent pas toujours », remarque Frédérique Baudemont, directrice générale du Réseau Santé en français de la Saskatchewan (RSFS). Pourtant, l’accès aux services de soin en français fait défaut : « Il n’y a pas de moyen d’identifier systématiquement la langue parlée par les professionnels de la santé », souligne la responsable. Aussi faut-il travailler selon elle à « changer la culture » au sein du ministère de la Santé.
En outre, la question des services aux aînés francophones est urgente. « Une large proportion de la communauté fransaskoise a 50 ans et plus, rappelle Denis Simard. Ça nous prend des services adaptés à leurs besoins : des centres d’accueil pour retraités, des cliniques de services en français… »
Les dossiers-clés
En éducation, l’ACF demande des efforts pour les écoles et garderies. Listes d’attente qui s’allongent, manque de place, pénurie de personnel… « Le continuum en éducation, de la prématernelle au postsecondaire, a besoin d’investissements », résume le président. Le manque de programmes au postsecondaire empêche même la rétention des élèves, déplore le porte-parole, « ce qui veut dire qu’on perd nos Fransaskois pour d’autres provinces ».
« Les financements viennent surtout de la province, mais c’est le gouvernement fédéral qui, en vertu de la Loi sur les langues officielles, a l’obligation d’assurer le développement et l’épanouissement de la communauté », rappelle l’avocat Roger Lepage. L’homme de loi estime que le fédéral n’en fait pas assez pour assurer un financement adéquat des écoles. « Où était le gouvernement fédéral en Cour suprême du Canada le 26 septembre dernier lorsque le Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique cherchait du financement pour ses écoles ? Ça en dit long. »
Le manque de soutien du fédéral dans ce genre de dossiers est criant selon le juriste. Actuellement, quatre recours judiciaires pour obtenir des écoles francophones sont en cours en Saskatchewan. Certes, la province s’est engagée à construire trois nouveaux établissements à Saskatoon, Regina et Prince Albert, « mais il n’y a aucun échéancier, rien n’avance, on ne choisit pas les sites. Qu’est-ce que le gouvernement fédéral fait pour aider à financer ces écoles-là ? », questionne le membre de l’Association des juristes d’expression française de la Saskatchewan (AJEFS).
Moderniser la LLO
La modernisation de la Loi sur les langues officielles (LLO) est l’un des plus gros enjeux pour les francophones au pays. « Elle risque d’avoir des impacts sur l’ensemble des dossiers, perçoit Denis Simard. Ce serait un gain important pour nous tous, ça nous donnerait des assises légales. »
Le représentant aimerait également que le décompte des francophones soit modifié pour intégrer les nouveaux arrivants et les anglophones qui apprennent le français, surtout ceux issus de l’immersion. « Si on se base sur les chiffres de français langue première à la maison, on a seulement 17 000 personnes dans la province, mais on en aurait 54 000 en poussant », voit-il. Ce changement de calcul permettrait aux nouvelles écoles d’être bâties avec une estimation plus adéquate des besoins. « Car la journée même où on ouvre les portes de l’école, il y a plus d’inscrits que de places. »
Tous les partis se sont engagés à moderniser la LLO, mais sans donner de précisions. « Est-ce qu’on parle d’une petite modernisation sur des détails sans importance ou d’une vraie refonte ? », s’interroge Denis Simard, qui milite pour que la dualité linguistique se fasse « comprendre, entendre et voir dans l’ensemble du pays ».
À cet égard, Frédérique Baudemont voudrait que la loi devienne plus prescriptive. « Il faut une loi qui ait des dents, résume-t-elle, que ça ne reste pas que des paroles en l’air. » Par exemple avec des clauses qui obligent les provinces à prendre des mesures concrètes et à les évaluer, suggère-t-elle.
Des propos rejoints par Roger Lepage, frappé par le manque d’engagement des chefs de parti. « Ce sont des vœux pieux, il n’y a absolument rien de concret. » D’après lui, le gouvernement Trudeau aurait pu avancer plus vite sur la question ces quatre dernières années. « Il ne bouge pas rapidement », juge-t-il.
L’avocat plaide pour que la LLO ressemble au Code des droits de la personne, où les plaignants peuvent obtenir dommages et intérêts si leurs droits sont bafoués. « La seule chose qui peut arriver pour le moment, c’est un rapport du commissaire aux langues officielles qui dit qu’on a effectivement violé nos droits », sans répercussion aucune.
Pour des francophones épanouis
Dans l’hypothèse où les conservateurs l’emporteraient, Roger Lepage est plutôt pessimiste : « J’ai très peu confiance qu’un gouvernement conservateur fasse avancer nos droits. Le gouvernement Harper a coupé le programme de contestation judiciaire pour empêcher d’aller en cour et faire respecter nos droits », se souvient-il.
Certains aimeraient voir plus de soutien à la bonne santé économique des francophones. « Nous souhaitons voir le gouvernement appuyer le développement économique des communautés francophones partout au Canada et mettre en place des mesures concrètes pour favoriser le développement des entrepreneurs et de la main d’œuvre francophones », indique Kouamé N’Goandi, nouveau directeur du Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉCS).
Sans parler de l’immigration francophone qui est loin d’atteindre son objectif de 4,4 % fixé par le fédéral. « Le système ne fonctionne pas, estime Denis Simard. Ce n’est qu’un objectif national d’IRCC [Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada], pas fait en concordance avec le ministère provincial de l’Immigration. »
Et les jeunes ?
Cette année, pour la première fois, Milléniaux et génération Z, soit ceux nés entre 1980 et 2001, constitueront le plus gros bloc électoral. D’après la Fédération de la jeunesse canadienne-française (FJCF), ces jeunes sont avant tout préoccupés par l’environnement, la nouvelle économie, la santé mentale, la connectivité et l’éducation.
C’est dans ce dernier domaine que les recommandations des jeunes francophones sont les plus précises : réviser le Programme de langues officielles en enseignement (PLOÉ), alléger le fardeau de la dette étudiante, recruter plus d’enseignants francophones et créer un ministère de l’Éducation fédéral.
L’environnement fait ici figure de thème rassembleur. « Les jeunes Fransaskois sont conscients du fait qu’ils vivent dans un quotidien entouré d’autres personnes. Même si leur identité culturelle a des enjeux spécifiques, ils ne sont pas naïfs et veulent faire partie du changement général », illustre Julien Gaudet, directeur de l’Association jeunesse fransaskoise (AJF).
Encore faut-il que les jeunes aillent voter. En 2015, 57 % des 18-24 ans avaient voté aux élections fédérales, et seulement 39 % en 2011. Cette progression laisse tout de même espérer une forte mobilisation pour ce 21 octobre.
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Lucas Pilleri
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