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Lettre à maman

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Après trois mois de voyage ici et là, voici que j’arrive en Écosse, dans le village même où tu es née, maman. La surprise pour moi ce sont les voix dans la rue et dans les pubs du quartier où je me trouve.  À mes oreilles – en famille évidemment – tu n’as jamais eu d’accent. Par contre, nos voisins canadiens remarquent tout de suite que tu es Écossaise. Il y a même certains qui peuvent nommer la ville où tu as été élevée par la seule musicalité de ta voix. Eh bien, me voici dans ta ville natale, et au lieu d’entendre l’écho de la douce voix qui me berçait et me soulageait quand j’étais petit, c’est le bourdon de cornemuse qui m’écorche les oreilles dans toutes les conversations. Et d’un coup, tu es devenue Canadienne. Évidemment, nos impressions d’accent sont bien colorées par les voix qui nous entourent, en l’occurrence celles de tes cinq sœurs restées en Écosse avec leur accent d’origine. Bon voilà : toute impression est subjective, et même parfois déroutante.

En voici une qui me touche au cœur, même si j’hésite à te le dire. Quand je vous écris, à toi et à papa, j’utilise toujours du papier fin – spécialement choisi – et j’emploie aussi une plume et une encre exclusive que j’ai achetées dans une papeterie à Édimbourg. Tu te souviens comme j’étais au septième ciel de recevoir de l’Écosse une plume Conway Stewart de la part de ma tante Isobel quand j’avais 11 ans ? Depuis, je me régale d’essayer toute une variété de porte-plumes Esterbrook pour réformer mon écriture au style italique. Jamais plus la vulgaire cursive pour moi. D’ailleurs, ici, on enseigne l’italique à l’école primaire. Moi j’ai dû attendre l´âge adulte, et puis, quel effort pour l’apprendre! Mais tu vois, maman, le plaisir que j’ai maintenant quand je t’écris en prenant soin de bien former mes lettres à l’italienne sur ce papier vélin édimbourgeois !

Et voilà. Tu me réponds toujours en scribouillant sur des feuilles de papier jaune brouillon (des secondes copies tapées à la machine), du stock qui me restait après mes cours de troisième cycle. Je ne vaux que ça ? Oui, oui, je sais que l’esprit économe des Écossais ne permet pas le gaspillage. Mais franchement, maman! Ce papier jaune me rappelle les nuits blanches à écrire des ébauches tortueuses qui allaient finalement devenir mes essais et, enfin, ma dissertation. Ça me répugne de toucher ce papier-là. Voyons, tu es même obligée d’écrire avec un stylo à bille minable sur ce buvard qui ressemble d’ailleurs à une grande feuille hygiénique à nettoyer la diarrhée.

Une petite note sur un bout de papier blanc, maman, pour l’amour… ou un petit aérogramme. Dis-moi que ton fils mérite un peu plus qu’un simple torchon, veux-tu ?