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Je m’identifie

Je m’identifie
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Extrait de la pièce en chantier de Michael Bowden « Je m’identifie »

C’est la rentrée scolaire, premier jour d’école. VIDE vient de s’annoncer comme étant non-binaire, ce qui à la fois confond ses amis et ouvre une discussion.

VIDE : Ok Carlos, tu as raison. La nature fait presque toujours deux sexes. Et pour de bonnes raisons.

CARLOS : Merci.

VIDE : Mais on en est loin, n’est-ce pas ?

CARLOS : Comment ?

VIDE : Dis, c’est quand la dernière fois que tu as chassé pour manger ?

CARLOS : Come on, tu sais ce que je veux dire.

VIDE : Non, sérieusement. As-tu eu besoin de chasser pour ton diner aujourd’hui ?

CARLOS : (soupir) Non.

VIDE : Et coucher à la belle étoile ? Te couvrir de boue pour te protéger contre les insectes ? Te battre contre un loup ou un ours pour un abri ?

CARLOS : C’est une question stupide, on ne vit pas comme ça !

VIDE : Précisément. La nature fait ce qu’elle fait pour de bonnes raisons. Mais on est loin de là, nous. La nature choisit pour les animaux comment sera leur histoire. Vois-tu ? La nature agit comme… comme narratrice. Elle dit comment est la météo, comment est la saison, quand sont les pluies et la neige et les grandes chaleurs. Les animaux doivent s’y ajuster. Mais nous autres, on choisit pour nous-mêmes. On décide comment on est.

CARLOS : Alors tu as choisi quelque chose de si… étrange ? Pourquoi faire comme ça ?

VIDE : Écoute, quand on me parle de garçons, ça ne me dit rien. Et c’est pareil quand on me parle de filles.

CARLOS : On n’a pas d’autre choix !

VIDE : On a tous le choix.

CARLOS : So what, on invente un autre sexe à notre goût ?

GARÇON 3 : Yeah, comme une émission que j’ai vue à la télé ! C’est un couple, right ? Mais il y en a trois, donc on l’appelle un triple. Imagine, trois parents !

FILLE 3 : J’en ai marre avec juste un.

GARÇON 1 : Quoi alors ? Est-ce qu’ils ont un lit extra-grand, ou quelque chose ?

FILLE 2 : C’est lequel qui fait le lavage ?

GARÇON 3 : C’est lequel qui doit signer les tests ?

FILLE 3 : C’est lequel qui conduit les enfants à l’école ?

GARÇON 1 : C’est lequel qui dit oui quand les deux autres disent non ?

VIDE : Mais plus de parents, c’est une bonne chose ! Écoute, si tous les papas sont des gars, et toutes les mères sont des filles, on apprend seulement comment être comme eux.

(silence)

FILLE 1 : Et puis ?

VIDE : Avec trois parents, ce n’est plus comme ça ! Ce n’est pas la femme qui est juste la mère ou l’homme qui est juste le père. On change de rôles avec trois. (Les regarde tous). Vous ne vous êtes jamais posé la question ?

GARÇON 2 : Quelle question ?

VIDE : Qui tu es ? Qui tu veux être ? Qui tu veux aimer ?

FILLE 2 : Ma mère dirait « et puis ? Tu aimes une fille. Ça fait pas des petits-enfants. »

GARÇON 3 : Les miens diraient « tu es trop jeune pour vraiment te connaître. »

FILLE 3 : On serait tellement fâché si je disais que je suis un garçon—

GARÇON 1 : —que je suis une fille—

FILLE 1 : —que j’aime une autre fille—

GARÇON 2 : —que les autres gars m’intéressent beaucoup plus que les filles que je connais—

FILLE 2 : —que ça ne me tente pas, ni l’une, ni l’autre.

GARÇON 3 : Mon père dit « Arrête de niaiser et prends la vie au sérieux ! »

FILLE 3 : Ma mère dit « Si tu tombes amoureuse d’une autre fille, ne le dis jamais à tes grands-parents. On dira que c’est une amie, ok ? »

GARÇON 1 : « Non, je ne veux rien de toi accompagné d’un garçon dans la maison. Même à Noël. Tu brises le cœur à ta mère. »

FILLE 2 : « Les garçons veulent juste une chose. »

GARÇON 3 : « Attention aux filles, elles vont te mener par le bout du nez ! »

FILLE 3 : « Tu n’aimes pas les filles, c’est juste un stade. »

GARÇON 1 : « T’es pas gai, c’est juste un stade. »

TOUS : Ça va passer, c’est juste un stade.

FILLE 1 : Comme les cartes Pokémon ?

GARÇON 2 : Comme la danse flossing ?

FILLE 2 : Comme les fidget spinners ?

GARÇON 3 : Comme les souliers qui deviennent les patins à roulettes ?

TOUS : Comme si on se connaît tellement peu qu’on choisit des jeux comme identité ?

FILLE 3 : Les parents.  Tellement cons.