SASKATOON - La saison des feux a été particulièrement intense en 2015 en Saskatchewan. La communauté scientifique s’interroge sur le phénomène et craint qu’il ne se répète de plus en plus souvent.
1. Forêt boréale typique dominée par l'épinette noire. Photo en médaillon: Jeunes cônes semi-sérotineux d'épinettes noire.
2. Fumée causée par un feu de forêt.
3. Suite au feu, tous les arbres matures sont morts et le sol forestier est complètement dénudé de végétation.
Photo en médaillon:
Après le feu, les cônes semi-sérotineux de l'épinette noire s'ouvrent et libèrent leurs graines qui peuvent prendre avantage sur sol brûlé.
4. Forêt en regénération, une dizaine d'années après le feu.
Photo en médaillon: Une plantule d'épinette noire s'est établie. Si elle survit, cette jeune épinette fera partie de la forêt mature qui brûlera à nouveau dans quelques dizaines d'années.
L’été 2015 s’est déroulé sous un ciel enfumé à travers le Nord-Ouest du Canada et des États-Unis. Des feux de forêt ont brûlé d’immenses étendues (et brûlent encore dans certains cas) en Alberta, en Colombie-Britannique, dans les Territoires du Nord-Ouest, de même que dans les états de Washington, Idaho et de l’Alaska. En Alaska, la superficie brûlée par des feux de forêts s’est classée en 2e position après 2004, la pire année enregistrée depuis 70 ans. L’été 2015 a aussi été une année record en Saskatchewan. En date du 9 septembre, on dénombrait un total de 722 feux, dont 8 étaient encore actifs. Une saison de feux sans précédent : 13 000 personnes évacuées de leur domicile, des villes et villages menacés par les flammes et des nuages de fumée voyageant jusqu’au Tennessee.
Les forêts du nord de la Saskatchewan font partie de la forêt boréale, une forêt dominée par des conifères tels que les épinettes, les pins et qui couronne l’hémisphère Nord traversant le nord du Canada, l’Alaska, la Scandinavie et la Russie.
Les feux d’origine naturelle (causés par des éclairs) ne sont pas une nouveauté dans cet écosystème. En effet, ils sont la perturbation naturelle la plus importante dans la forêt boréale du nord de la Saskatchewan et dans l’Ouest canadien. Ils font partie du cycle naturel de régénération de ce type de forêt. Jill Johnstone, professseure au département de biologie à l’Université de la Saskatchewan, travaille sur l’écologie des feux de la forêt boréale depuis plusieurs années. Elle affirme que la forêt boréale est
«née pour brûler». Deux des espèces d’arbres qui dominent le paysage dans le nord de la province, le pin gris et l’épinette noire, ont évolué de concert avec les feux. Ces deux espèces d’arbres ont des cônes sérotineux, c’est-à-dire enveloppés de cire et ne s’ouvrent que suite à une exposition à la chaleur intense telle que celle provoquée par un incendie. Le feu permet donc à ces forêts de se régénérer en provoquant une pluie de graines qui s’établissent sur le sol forestier dénudé.
Jill Johnstone et ses collaborateurs ont découvert que, suite à une année de feux particulièrement intense en Alaska (2004), les sites où les incendies ont été les plus dévastateurs en consumant la majeure partie de la matière organique au sol, on assiste à un changement de la composition de la forêt, passant d’une forêt dominée par les conifères à une forêt dominée par des feuillus tels que le peuplier faux-tremble et le bouleau blanc.
De tels changements peuvent avoir des conséquences en cascade dans l’écosystème. On sait par exemple que les lichens dont dépendent les caribous poussent seulement dans les forêts de conifères, ne pouvant pas survivre sous les feuilles mortes des forêts de feuillus, alors que les orignaux raffolent des jeunes pousses de peuplier. Un changement similaire est-il possible en Saskatchewan suite aux feux de cet été? Seul l’avenir et de plus amples recherches le diront. De plus, un changement dans la dynamique des feux et le stress de la sècheresse causés par les changements climatiques ne sont pas les seuls problèmes avec lesquels les forêts nordiques sont aux prises. L’action conjointe des activités humaines et des épidémies d’insectes peuvent également affecter la dynamique de la forêt boréale.
Bien que celle-ci soit adaptée au feu, 2015 a été une année particulièrement intense. Des conditions extrêmement sèches durant le printemps ont préparé le terrain pour les incendies. Dans une entrevue donnée à Radio Canada et publiée le 2 juillet dernier, Toddi Steelman, directrice exécutive du School of Environment and Sustainability de l’Université de la Saskatchewan, affirmait que les changements climatiques sont probablement la cause des méga-feux dans le nord de la province. La forêt boréale nord-américaine, incluant le nord de la Saskatchewan, a subi un réchauffement environ deux fois plus rapide que le reste de la planète. Des conditions de sècheresse, des orages électriques provoquant des éclairs et peu de pluie ainsi que de forts vents constituent des conditions idéales pour l’initiation et l’expansion des incendies de forêt.
Alors que le climat se réchauffe dans les Prairies et la forêt boréale de la Saskatchewan, on peut s’attendre à ce que des années de méga-feux telle que 2015 deviennent la norme plutôt que l’exception. Il est maintenant temps d’adapter les politiques de gestion de la forêt et des risques associés aux feux, de même que les plans d’évacuation. Les feux font partie intégrante de la forêt boréale et il faudra apprendre à coexister de manière plus efficace avec eux.
Pour en savoir plus…
http://www.nationalobserver.com/2015/07/13/news/drought-caused-climate-change
http://www.cbc.ca/news/canada/saskatchewan/climate-change-to-blame-for-so-many-sask-wildfires-says-expert-1.3136209
Appenzheller T. 2015. The New North. Science Magazine. http://sciencepubs.com/content/349/6250/806.summary?related-urls=yes&legid=sci;349/6250/806
Parisien MA et al. 2004. Saskatchewan Fire Regime Analysis. Canadian Forest Service. http://www.cfs.nrcan.gc.ca/bookstore_pdfs/24912.pdf