Mauril Bélanger (1955-2016)
Photo: La Presse canadienne (Sean Kilpatrick)
Mauril Bélanger, membre libéral du Parlement depuis plus de deux décennies et militant de longue date pour les droits des francophones au Canada anglais, s'est éteint le 16 août 2016 à l'âge de 61 ans après une bataille publique contre la sclérose latérale amyotrophique (SLA), communément appelée maladie de Lou Gehrig.
Le premier ministre Justin Trudeau a lui-même annoncé le décès du député de la circonscription d'Ottawa-Vanier sur son compte Twitter, mardi soir.
M. Trudeau a écrit: "Mauril Bélanger est décédé. Toute la famille parlementaire pleure ce grand ami, ce député infatigable et ce courageux combattant".
La maladie n'a pas empêché M. Bélanger, quelques mois avant son décès, de réclamer que la Ville d'Ottawa devienne officiellement bilingue à temps pour les célébrations de 2017 marquant le 150e anniversaire de la Confédération.
Il avait reçu ce soir-là le prix Bernard-Grandmaître, décerné par l'Association canadienne-française de l'Ontario (ACFO) à une personne qui a marqué Ottawa par son engagement et son leadership dans la promotion et le développement de la communauté francophone.
M. Bélanger a eu besoin d'aide pour monter sur l'estrade et s'est adressé à l'assemblée avec l'aide d'une voix synthétique, la maladie l'ayant privé de la parole, dès son apparition; un coup doublement cruel pour cet homme qui a passé sa vie à militer pour les droits linguistiques.
Le député a appris qu'il était atteint de cette maladie neurodégénérative incurable en novembre 2015, quelques semaines seulement après avoir été réélu dans la circonscription d'Ottawa-Vanier pour la huitième fois depuis son arrivée en politique fédérale lors d'une élection partielle, en février 1995.
Le 27 janvier 2016, il était entré dans l'histoire en devenant le premier député de la Chambre des communes à utiliser une voix électronique; il avait alors redéposé son projet de loi d'initiative parlementaire visant à retirer une phrase qu'il jugeait sexiste dans le "Ô Canada". Il s'agissait de sa deuxième tentative pour rendre plus "inclusive" la version anglaise de l'hymne en remplaçant l'extrait "true patriot love in all thy sons command" ("un vrai amour de la patrie anime tous tes fils") par "true patriot love in all of us command" ("un vrai amour de la patrie nous anime tous"). Le premier projet de loi avait été rejeté à sa deuxième lecture en avril 2015.
M. Bélanger était revenu aux Communes, le 6 mai 2016, pour lancer le débat en deuxième lecture de son nouveau projet de loi. Ovationné par ses collègues à son entrée en Chambre, en fauteuil roulant, il avait présenté ses arguments à travers une voix synthétique.
"Notre hymne national ne devrait pas ignorer la contribution grandissante de 52 pour cent de notre population", avait-il exposé sous le regard de sa femme, qui était assise dans les tribunes en compagnie de l'ancien chef intérimaire du Parti libéral, Bob Rae.
"Les progrès réalisés par les femmes dans notre société sont significatifs, et ils devraient être pleinement reconnus", avait poursuivi M. Bélanger, qui était resté en Chambre pendant un peu plus de 15 minutes avant de quitter, sous les applaudissements de ses pairs.
Le 10 juin, il a été contraint de retourner, une fois de plus, aux Communes afin que son projet de loi puisse entamer sa troisième lecture. Les conservateurs, alors, refusaient d'accepter que le projet de loi soit transféré au parrainage d'un autre élu libéral et le parrain d'un projet de loi doit être présent à l'amorce de chacune des étapes d'étude du texte législatif.
M. Bélanger était alors apparu beaucoup plus faible qu'un mois plus tôt, n'offrant aucune réaction visible à ce qui se passait autour de lui. Il n'a pas pris la parole. Cette image aura réussi à effacer les précédentes, alors que le député Bélanger, malgré sa maladie, tenait à faire son travail de parlementaire.
Le 9 mars 2016, M. Bélanger était devenu président honoraire de la Chambre des communes pour une journée, et avait siégé ainsi pendant environ 20 minutes pendant les déclarations des membres et le début de la période de questions quotidienne, communiquant avec sa tablette électronique.
Remarquablement, Mauril Bélanger venait tout juste de rentrer d'un voyage en Afrique du Sud et en Namibie à titre de président de l'Association parlementaire Canada-Afrique, un groupe qu'il avait cofondé en 2003.
"La pure détermination de monter dans un avion et d'utiliser une marchette, une canne, la nouvelle technologie pour communiquer (...), d'assister à 99 pour cent des réunions", s'est souvenu le sénateur Jim Munson, qui accompagnait la délégation de M. Bélanger.
"Il occupait une place prépondérante. Il vivait dans le moment, chaque fois."
Mauril Bélanger a été nommé porte-parole honoraire national de la Marche pour la sclérose latérale amyotrophique, une campagne annuelle lancée à travers le Canada afin d'appuyer la recherche de même que les personnes atteintes de la maladie, dont le nombre varie entre 2500 et 3000 au pays.
M. Bélanger, deuxième d'une famille de cinq enfants, est né à Mattawa, en Ontario, et sa mère était une militante pour les droits de la communauté francophone locale. Adolescent, il devait rouler en autobus pendant 60 kilomètres jusqu'à North Bay pour étudier dans une école secondaire francophone. Il a par la suite étudié la littérature anglaise à l'Université d'Ottawa afin de parfaire sa langue seconde.
Tout au long de sa vie, il a milité pour les droits des minorités en général et des Franco-Ontariens en particulier.
En 2010, interviewé par le journal L'Express, il confiait que de toutes ses luttes, c'est la bataille pour la survie de l'Hôpital Montfort qui a le plus compté pour lui.
En 1997, le gouvernement conservateur ontarien de Mike Harris a voulu fermer le seul hôpital francophone de la province. Les Franco-Ontariens étaient alors montés aux barricades. Et avec eux, le député fédéral d'Ottawa-Vanier: Mauril Bélanger.
"Ce projet a été mon objectif principal pendant deux élections", confiait-il à L'Express en 2010.
Un long engagement
L'engagement politique de M. Bélanger date de ses années d'université. Il a siégé au sein de la fédération étudiante de l'Université d'Ottawa au milieu des années 1970.
"Pendant deux ans, je n'ai pas étudié beaucoup, mais j'ai vraiment appris beaucoup", avait déclaré Mauril Bélanger au journal étudiant de l'université, le "Fulcrum", en 2015.
Son seul emploi hors de la sphère politique ou de l'administration publique a été à titre de courtier, au milieu des années 1980, après avoir amorcé sa carrière sur la colline du Parlement en travaillant comme assistant pour feu Jean-Luc Pépin, qui a été ministre libéral des Transports de 1980 à 1983.
En octobre 2015, Mauril Bélanger avait déclaré au "Fulcrum" que son travail au sein de la fédération étudiante et le mentorat de Jean-Luc Pépin avaient eu une influence sur son comportement parlementaire.
"Il m'a dit: "Mauril, si tu deviens un jour député, tu devras apprendre à traiter avec tous les parlementaires, peu importe leur allégeance." Et c'est comme cela que je me comporte en Chambre, je n'ai jamais participé aux cris et aux injures et c'est une leçon que j'ai apprise à l'université."
Son université se souviendra longtemps de lui et de son mentor. À l'automne 2016, l'Université d'Ottawa lancera une série de conférences en hommage à M. Bélanger, sous l'égide de la Chaire de recherche Jean-Luc-Pépin, conférences où on discutera des enjeux en matière de politiques publiques.
"La création de la Série de conférences Mauril-Bélanger représente, pour nous, une façon d'honorer son dévouement à de nombreuses causes, notamment à celles des minorités linguistiques et de la francophonie, particulièrement en Ontario ", déclarait Allan Rock, recteur et vice-chancelier de l'Université, en annonçant la série de conférences.
Son projet de loi qui change la version anglaise du Ô Canada a été adopté par les Communes le 15 juin 2016. Cependant, une semaie plus tard, le Sénat a ajourné pour l'été sans l'adopter. Le député Bélanger n'aura donc pas pu entendre sa version corrigée de l'hymne national.
Celui qui s'est battu toute sa vie publique pour le respect de la langue française au Canada aura réussi à marquer la langue anglaise aussi... à condition que le Sénat finisse le travail qu'il avait entrepris.