L’article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982 comprenait-il la gouvernance des établissements d’enseignement? Des parents francophones d’Edmonton ont pris les devants et gagné en Cour suprême en 1990. Une jurisprudence était fondée. Celle de l’arrêt Mahé.
Le 25e anniversaire de l’arrêt Mahé sera marqué le 30 octobre par une conférence des codemandeurs Jean-Claude Mahé et Paul Dubé, ainsi que de la cinéaste Anne-Marie Rocher, lors du congrès annuel de la Fédération nationale des conseils scolaires francophones, à Saint-Jean (Terre Neuve). L’occasion de se replonger dans les souvenirs de ce combat pour l’éducation francophone. « Au tout début, on ne croyait pas que la gestion scolaire était prévue sous l’article 23, rappelle l’éminent juriste Michel Bastarache. Dans les discussions qui ont mené à la Charte, le gouvernement avait refusé un amendement pour l’inclure. La chose encourageante, c’est que le ministre Jean Chrétien avait déclaré que les tribunaux pourraient trancher cette question. »
« Un cas aurait pu commencer n’importe où, croit l’ancien juge de la Cour suprême du Canada (1997-2008). Il fallait avoir un groupe de parents bien organisé et du financement. Ça a fonctionné parce que le gouvernement fédéral a créé un programme d’aide financière pour les contestations judiciaires. »
La Cour suprême a tranché en faveur des parents Jean-Claude Mahé, Angéline Martel et Paul Dubé, dans la célèbre cause lancée dès 1983.
« Tout le monde parle de Mahé comme la première cause, souligne le juge de la Cour d’appel de l’Ontario (depuis 2005), Paul Rouleau. Mais c’était après le renvoi de 1984 sur la Loi 75 en Ontario. Le projet a créé des sections de langue française pour la minorité. L’approche qu’on a prise, c’était l’explication que ‘la plume de ma tante’, ça voulait dire que ce n’était pas juste la plume que ma tante utilise, mais qui lui appartient. Les juges pouvaient comprendre ça, même si c’était loin d’être clair dans la version anglaise de l’article 23, commente le juriste. Notre argument était fondé sur le texte en français qui évoque des ‘établissements de la minorité’. Et on a gagné une forme de gestion au sein de 80 conseils scolaires anglophones. »
Paul Rouleau, juge de la Cour d’appel de l’Ontario
Photo : Cour d'appel de l'Ontario
« Il fallait trouver des avocats prêts à s’investir dans ces nouvelles causes d’envergure constitutionnelle, souligne Michel Bastarache. L’article 23 est un compromis, la Charte a été imposée au Québec. Dans un débat politique, c’est certain qu’on ne développe pas une philosophie de base. C’est finalement la Cour suprême qui a donné une justification morale à l’article 23. Et ça nous a aidés dans toutes les autres causes. L’éducation dans la langue de la minorité officielle est un droit fondamental au Canada, poursuit-il. On doit le garantir parce qu’on s’engage envers le français. C’est seulement la minorité qui peut déterminer ce qui est essentiel, a dit la Cour. »
En Cour suprême, Me Bastarache était le conseiller de l’intervenante, la Fédération des commu-nautés francophones et acadiennes, tandis que Me Rouleau représentait trois organismes de l’Ontario. Les conseillers ont collaboré à la stratégie juridique.
Les parents albertains avaient une vision très élaborée de la portée de l’article 23. « En partant, ils ont essayé de prendre une grosse bouchée. Ils cherchaient le maximum, incluant le droit de taxation. Devant la Cour, on a cherché à limiter les demandes. Parce que si tu demandes tout et que tu perds, tu ne peux pas aller en appel. J’ai toujours dit qu’il fallait créer des seuils et non des plafonds. Si on avait tout demandé, on n’aurait pas avancé autant par la suite. Les droits doivent cheminer. », estime Paul Rouleau,
D’autres jugements en Cour suprême ont suivi : le Renvoi manitobain (1993) ainsi que les arrêts Arsenault-Cameron, (2000), Doucet-Boudreau (2002), Association des parents Rose-des-Vents et Commission scolaire francophone du Yukon (2015).
Ce n’est pas terminé : la justice est saisie des causes en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et aux Territoires du Nord-Ouest sur des questions de financement, d’infrastructures et d’admission.
Est-ce que l’article 23 s’est avéré le remède à l’érosion des communautés, tel qu’énoncé dans Mahé? Michel Bastarache parle d’un point tournant. « Un grand nombre d’écoles et de conseils scolaires ont été créés et une forte augmentation d’enfants ont l’opportunité d’étudier en français. Ça a aussi créé une cohésion dans les communautés et apporté de l’argent fédéral pour des infrastructures. Mais des problèmes continuent, comme en Colombie-Britannique où un très long procès dure depuis deux ans. »
Paul Rouleau est encouragé, surtout depuis la transformation en 1998 des sections de langue française de l’Ontario en 12 conseils scolaires. « Les conseils francophones sont en pleine croissance dans la province, et particulièrement dans le Sud où il y avait beaucoup d’assimilation. Nous avons réduit l’érosion mais est-ce qu’on a renversé la tendance? C’est un peu plus compliqué », conclut-il.