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Les timbrés

Le prix du bonheur

Le prix du bonheur
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(Extrait d’un roman en chantier)

Chapitre 1 – Saskatchewan, août 2018

Le téléphone sonna. Ousmane se réveilla aussitôt et, d’un geste du doigt, balaya le cadrant du téléphone. Une voix d’enfant lui demanda si papa sommeille encore. Sa voix, mimant le timbre enfantin, lui répondit : Oui, papa bien dormi. C’était sa fille Élisabeth, qui n’avait que deux ans. Elle lui dit être très contente d’entendre sa voix. C’était l’une des rares fois, depuis sa naissance, qu’elle se réveillait sans son père à côté d’elle.

Il changea de ton et voulut savoir comment sa maman à elle avait passé la nuit.

« J’ai très bien passé la nuit, enchaîna celle-ci. Hannah aussi va bien. »

Hannah était leur dernière fille. Elle n’avait que six mois.

« Elle ne s’est réveillée qu’une seule fois, la nuit dernière, pour téter », ajouta la mère. « Quant à Élisabeth, elle a pris deux bibis seulement. »

Deux biberons… L’homme sembla soulagé. Il jeta son drap de l’autre côté du lit, posa au sol ses pieds qui cherchèrent sa paire de tapettes. Il se leva et continua à causer pendant qu’il brossait ses dents, le téléphone coincé entre l’épaule gauche et sa tête penchée sur le côté.

L’éloignement de sa femme et de ses deux filles semblait lui peser. Et à l’entendre leur parler, on aurait dit qu’il aurait voulu voir des ailes lui pousser ; ou se transformer en l’un de ces oiseaux migrateurs, qui volent très haut dans le ciel, pour traverser océans et déserts, et courir embrasser sa femme et ses deux fillettes. Une joie amère et une forte envie couvrirent son visage. Le son d’un message ou fichier numérique entrant jaillit de l’appareil… Les yeux rivés sur le téléphone, il lava la brosse à dents qu’il déposa, prit une gorgée d’eau et rinça sa bouche. La vidéo de sa famille qui défilait sur le petit écran le rasséréna. Maintenant qu’il était sûr que tout allait bien, il laissa échapper un large sourire.

Pendant qu’il causait, on frappa à sa porte et une voix lui annonça que l’atelier débutait dans une demi-heure. Il prit congé de sa femme, saisit son calepin et quitta sa chambre. Il s’engagea dans le long couloir de l’abbaye Saint-Pierre de Muenster et croisa Michel qui revenait précipitamment sur ses pas. Ils n’eurent que le temps d’échanger de brefs bonjours, et son vis-à-vis se dirigea droit vers les toilettes.

Ousmane emprunta le sentier sinueux en dalles qui conduisait vers la sortie de l’abbaye, et s’engagea sur une route bitumée. Derrière lui, une voiturette bleue, à bord de laquelle trônait une très jolie femme, le doubla avec un joyeux klaxon. Sourire aux lèvres, la jeune femme lui envoya la main. Il lui répondit aussitôt par un bras levé et un sourire de gentillesse. La femme et sa voiture disparurent, reparurent plus loin, puis disparurent à nouveau.

Suivant la même direction, il se dirigea vers un immense champ de blé qui s’étalait à perte de vue. Au loin, les épis semblaient toucher le ciel. Il s’arrêta et fit face au champ. Devant lui, rien que du blé. Du blé à perte de vue. Avec ses tapettes, il foula doucement l’herbe fraîchement arrosée par la fine pluie de la nuit qui lui mouilla les pieds. Face aux ondulations du blé agité par une brise, auxquelles faisaient écho les cris de quelques oiseaux solitaires, Ousmane ne s’était jamais senti aussi proche du ciel que dans cet ancien monastère du Canada, fondé par la congrégation américano-cassinaise en 1903.

Paradoxalement, il ne s’était jamais senti aussi loin de son Niger natal…

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