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Les noms d'ici, par Carol Léonard

Le racisme, un débat pan-canadien

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Le premier ministre Justin Trudeau a posé le genou au sol lors d’une manifestation contre le racisme au centre-ville d’Ottawa vendredi 5 juin. Le débat sur le racisme systémique est relancé au pays depuis une semaine dans la foulée des événements qui ont lieu aux États-Unis.

Le 1er juin, en réponse aux manifestations qui ont suivi la mort de George Floyd à l’issue d'une arrestation musclée par quatre policiers blancs à Minneapolis, le premier ministre canadien avait senti le besoin de donner l'heure juste lors du point de presse quotidien sur la situation de la COVID-19.

« Pour beaucoup trop de Canadiens, ce qui se passe de l’autre côté de la frontière en ce moment, ce sont des scènes familières. Le racisme envers les Noirs, la discrimination systémique, l’injustice – ça existe aussi chez nous. […] Le statu quo où les jeunes font face à la violence à cause de la couleur de leur peau est inacceptable. Aucun parent ne devrait avoir à expliquer à nouveau à leurs enfants qu’eux ou leurs amis pourraient subir le racisme. »

Les paroles de Justin Trudeau, applaudies par certains, ont soulevé des élans de critiques faisant valoir que le racisme existait bel et bien au Canada, notamment dans les gouvernements, institutions et autres instances publiques.

Un racisme multiforme

Le racisme peut prendre toutes sortes de formes, comme par exemple se faire demander « d'où tu viens ? » Une question que s’est souvent fait poser Renise Robichaud, 23 ans, de la Péninsule acadienne, ce à quoi elle répond simplement « d’icitte ». Adoptée à l'âge de 3 ans par un couple acadien du Nouveau-Brunswick, elle ressent aujourd’hui le besoin de partager certaines expériences personnelles et réflexions sur sa page Facebook.

« Je suis au Canada depuis l’âge de trois ans et pourtant je ne suis toujours pas "canadienne" aux yeux de bien des gens. Je suis une jeune femme noire et plus j’avance dans la vie, plus j’ai peur de ce qui m’attend. Mes parents ne seront pas toujours là pour me défendre et me permettre d’avancer, je devrai le faire seul. »

Ce genre de questions sur l'origine peut sembler anodin pour certains. Pas pour le professeur Timothy J. Stanley, de la Faculté d'éducation de l'Université d'Ottawa : « Quand on voit quelqu'un qu'on considère comme une personne "blanche" ou d'origine européenne, on considère que c'est quelqu'un qui est naturellement "à sa place" ici. Par contre, si on voit une personne de couleur – même parfois un autochtone – notre réaction est de penser que ce sont des étrangers qui ne sont pas d'ici. Leur présence est peut-être justifiable, mais c'est toujours conditionnel. »

Racisme dans la justice et l'économie

Le comportement de membres des forces policières est souvent montré du doigt à l’égard des Noirs. La Commission ontarienne des droits de la personne a mené une étude sur le profilage racial et la discrimination raciale au sein des forces policières de Toronto.

Le rapport intérimaire de la Commission, publié en 2018, indiquait qu'une personne noire courait 20 fois plus de risques d'être impliquée dans une fusillade mortelle aux mains de la police. Les Noirs, qui ne représentent qu’environ 9 % de la population de la ville, font l'objet de près de 30 % des recours à la force et plus de 61 % des interactions mortelles.

Évidemment, le racisme et la discrimination raciale ne se limitent pas aux Noirs.

Les inégalités économiques font aussi partie des unités de mesure du racisme. Un rapport du Centre canadien des politiques alternatives (CCPA) publié en décembre 2019 et intitulé « Écarts de revenus au Canada : une inégalité économique racialisée » concluait que les hommes dits racialisés gagnent 20 % de moins que les hommes non racialisés. Chez les femmes racialisées, la différence est de 40 %. Pour les Noirs, tant chez les hommes que chez les femmes, ces écarts sont encore plus prononcés.

L'étude révélait aussi que, malgré le fait que les travailleurs racialisés étaient plus nombreux en proportion sur le marché du travail, leur taux de chômage était de deux points plus élevé que les autres. Cette situation est pratiquement restée inchangée par rapport à il y a 10 ans.

L'un des auteurs du rapport, Ricardo Tranjan, souligne que la conclusion principale de l'étude porte vers un appel à l'action. « Au niveau du gouvernement et au niveau de la société, on doit faire face à cet enjeu de façon plus directe et plus active. On ne peut pas attendre que ça s'améliore tout seul. »

Profilage dans les commerces

La discrimination et le racisme se font aussi sentir lors des activités quotidiennes comme aller au magasin. Entrer dans un commerce, se faire suivre par un employé, presque pas à pas, ou encore se faire faussement accuser de vol à l'étalage, voilà les comportements que subissent trop souvent les personnes racialisées.

Ce genre d'histoires, l'experte en profilage raciale et consultante Tomee Elizabeth Sojourner-Campell les entend constamment. « C’est le genre de choses qui arrivent tous les jours, dit-elle. Pour ceux qui ne sont pas confrontés à cette réalité, c'est parfois difficile à croire. »

Et à ceux qui croient que la situation au Canada n'a rien à voir avec celle des États-Unis, le professeur Timothy J. Stanley conclut avec une information qui porte à réflexion : « Un pourcentage plus important d'Autochtones est incarcéré au Canada que de Noirs aux États-Unis. »

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