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Garderies à 10 $ : pas de clause linguistique pour les francophones

Garderies à 10 $ : pas de clause linguistique pour les francophones
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La Fédération des communautés francophones et acadienne du Canada a tapé du poing sur la table ce mercredi 15 décembre après avoir appris que l’entente conclue entre le gouvernement fédéral et le Nouveau-Brunswick pour l’établissement de garderies à 10 $ ne contient pas de clause linguistique pour les francophones. Un désengagement du fédéral qui résonne dans les communautés francophones en situation minoritaire au pays. 

Par communiqué, la Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada et la Commission nationale des parents francophones (CNPF) se sont dites «atterrées» d’apprendre l’absence de clauses linguistiques pour les francophones dans les ententes signées jusqu’à présent. 

«La CNPF et la FCFA ont appris récemment que le plan d’action du gouvernement du Nouveau-Brunswick, approuvé par le gouvernement fédéral, ne prévoit aucune retombée spécifique pour la communauté francophone et acadienne dans la seule province bilingue au pays. Ceux de la Colombie-Britannique, de l’Île-du-Prince-Édouard et de la Saskatchewan représentent de la même manière des reculs par rapport aux ententes signées en 2017», peut-on encore lire dans le communiqué. 

Ni la FCFA ni les organismes francophones n’ont toutefois eu accès aux ententes. La FCFA aurait appris l’absence de clause linguistique par des contacts politiques.

Le Nunavut, les Territoires du Nord-Ouest et l’Ontario sont les derniers territoires et province qui n’ont pas encore conclu d’entente dans le cadre du programme fédéral de garderies à 10 $ par jour, une promesse électorale de Justin Trudeau. 

Pas de consultation des communautés francophones

Liane Roy

Présidente de la Fédération des communautés francophones et acadiennes du Canada.
Crédit : Courtoisie

«Il n’y a aucune indication sur ce que [le fédéral] va offrir aux francophones, qui ne sont pas du tout évoqués», déplore Liane Roy, présidente de la FCFA.

«C’est l’un des amendements qu’on veut voir dans la modernisation de la Loi sur les langues officielles. Là, c’est l’exemple parfait qui démontre pourquoi on a besoin de ces clauses linguistiques», s’agace-t-elle.

Si la FCFA et la CNPF ont décidé de sonner l’alarme maintenant, c’est parce que «la province du Nouveau-Brunswick est la seule officiellement bilingue et qu’il reste une province et deux territoires à signer», précise Liane Roy. Mais depuis des mois, au fil des ententes conclues avec le fédéral, les francophones des autres provinces et territoires ne voient pas plus de clauses qu’au Nouveau-Brunswick.

Mireille Péloquin, directrice générale de la Fédération des parents francophones de l’Alberta (FPFA), déplore que «les gouvernements ne nous consultent pas». Dans la province, l’entente sur les garderies à 10 $ a été conclue le mois dernier.

La présidente de la FPFA a interrogé la ministre albertaine des Services à l’enfance, Rebecca Schulz, pour savoir ce qui avait été négocié dans l’entente en faveur des francophones.

La ministre s’est contentée de lui répondre que la province était en «consultation» avec les organismes communautaires francophones. 

Mireille Péloquin a ensuite contacté le Secrétariat francophone albertain pour avoir plus de précisions. «Là, ils m’ont dit qu’ils étaient toujours en train de corriger les ministres, car [ces derniers] pensent que consulter le Secrétariat francophone, c’est la même chose que consulter la communauté francophone. Mais non! En faisant ça, c’est une consultation gouvernementale, pas des communautés», regrette la présidente de la FPFA.

Une observation que Liane Roy corrobore : «Dans les discussions, on a entendu dire qu’il y avait la consultation de “groupes minoritaires”, mais nous ne sommes pas mentionnés». 

«Ils nous ont mis dans le bateau de la diversité»

Mireille Péloquin
Mireille Péloquin est directrice de la Fédération des parents francophones de l’Alberta.
Crédit : Courtoisie

Mireille Péloquin a aussi trouvé étrange que le ministère albertain des Services à l’enfance ne fasse pas la distinction entre les diverses minorités. «Ils nous ont mis un peu dans le bateau de la diversité [en disant] qu’il y avait des clauses et initiatives en ce sens, en mettant l’accent sur les Autochtones. Nous, on a des attentes sur des initiatives spécifiques pour les francophones», souligne-t-elle.

François Larocque, professeur et titulaire de la Chaire de recherche sur la francophonie canadienne en droits et enjeux linguistiques à l’Université d’Ottawa, indique que «ce qui était demandé par la communauté francophone et qu’on pensait avoir obtenu dans les documents de positionnement du gouvernement, c’est que désormais le fédéral serait à l’appui du continuum de l’éducation, de la petite-enfance au postsecondaire dans les communautés en situation minoritaire». L’expert constate toutefois que la réalité est bien loin de cette aspiration.

L’engagement du fédéral envers la place des francophones dans le secteur des garderies a commencé, pour l’année 2021, sous la plume de l’ancienne ministre aux Langues officielles, Mélanie Joly, avec le dépôt d’un document de réforme de la Loi sur les langues officielles.

Le dépôt du projet de loi C-32 en juin 2021 est venu renforcer les espoirs des communautés francophones, alors qu’il y était indiqué que «le gouvernement fédéral s’engage à renforcer les possibilités pour les minorités francophones et anglophones de faire des apprentissages de qualité dans leur propre langue tout au long de leur vie, notamment depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires». Des investissements dans le secteur de la petite enfance étaient également évoqués.

«Mais ce projet est mort au feuilleton et voilà qu’à la première occasion qui se présente, le gouvernement laisse tomber sa promesse», se désole le professeur Larocque. 

L’autre difficulté, c’est que les ententes pour les garderies à 10 $ ne sont pas publiques, rappellent Mireille Péloquin, Liane Roy et François Larocque. Un obstacle de plus pour poser des questions précises aux deux paliers de gouvernement, indique la présidente de la FPFA.

Plus d’imputabilité et de clarté dans les transferts de fonds

François Larocque
François Larocque, professeur à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa et titulaire de la Chaire de recherche sur le monde francophone, droits et enjeux linguistiques.
Crédit : Valérie Charbonneau

«Lors des transferts de fonds du fédéral aux provinces, il faut des ententes claires, de la transparence et une imputabilité ministérielle avec, en bout de ligne, le commissaire aux langues officielles, voire les tribunaux», plaide François Laroque. 

Le jugement Gascon rendu 2018 par la Cour fédérale freine ces ambitions : les recours judiciaires sous l’actuelle partie VII de la Loi sur les langues officielles «sont trop flous, il y a des lacunes. C’est pour ça que j’étais encouragé par la dernière mouture de C-32 où on donnait plus de chair et on fournissait plus de recours pour les communautés», précise François Larocque.

Mais comme le fait remarquer le professeur, le projet de loi C-32 étant mort au feuilleton, les ententes sur les garderies passées avec 10 provinces et territoires jusqu’à présent ont été conclues «sous le vieux régime ; elles ne bénéficieront pas des principes retenus qui animeront la prochaine mouture de la Loi», note-t-il.

Liane Roy, présidente de la FCFA, entrevoit quant à elle des «discussions» à postériori des signatures d’ententes, qui pourraient mener à l’insertion de clauses favorables aux francophones.

Linda Cardinal
Linda Cardinal est professeure émérite à l’École des études politiques de l’Université d’Ottawa.
Crédit : Courtoisie

Linda Cardinal, professeure à l’Université de l'Ontario français, confirme cette possibilité. «Mais on devrait le faire tout de suite. Ce n’est pas le cas et ça veut dire que le gouvernement n’a pas encore la lentille francophone et n’a pas appliqué l’égalité réelle», analyse-t-elle. 

La professeure pointe une autre faille : le manque de recherches sur les relations fédérales-provinciales en matière de langues officielles. 

«On n’a pas beaucoup de données à mobiliser. On voit juste des failles en se basant sur l’expérience et on voit qu’elles n’avaient pas été colmatées dans le projet de loi [C-32]. Ça, c’était un point faible», conclut-elle.