Close
Annulation de Keystone XL : un coup dur pour l’Ouest canadien
Mehdi Jaouhari
/ Catégories: Économie, Politique

Annulation de Keystone XL : un coup dur pour l’Ouest canadien

L'annulation de l'extension de l'oléoduc Keystone XL, qui devait relier les champs pétroliers de l'Alberta au sud des États-Unis en passant par la Saskatchewan, est un coup dur pour l’économie de l’Ouest canadien. Si la Saskatchewan s’en sort mieux que l'Alberta, elle doit continuer de diversifier davantage son économie selon trois experts.

L'élection de Joe Biden comme 46e président des États-Unis d'Amérique n'aura pas fait que des heureux. Sitôt entré en fonction le 20 janvier, le faucon des démocrates a annulé le permis de passage de l'oléoduc Keystone XL sur le territoire américain, empêchant ainsi le transport de 830 000 barils de pétrole par jour de l’Alberta au Nebraska en traversant la Saskatchewan sur quelque 260 km.

L’oléoduc devait créer des milliers d'emplois et générer de grosses recettes, aussi bien pour le Canada que les États-Unis. Aussi, son annulation a provoqué une levée de boucliers au Canada, particulièrement dans l'Ouest qui dépend beaucoup des énergies fossiles pour son économie. 

La grogne de l'Ouest 

Frédéric Boily
Frédéric Boily, professeur au Département de science politique du Campus Saint-Jean l’Université de l’Alberta. Crédit : Courtoisie
Le premier ministre de la Saskatchewan, Scott Moe, n'a pas tardé à exprimer sa déception et sa désapprobation, joignant sa voix à celle de son pair albertain Jason Kenney qui s'est montré plus véhément dans sa critique de la décision américaine.

L'annulation du projet officialisée par décret est une douche froide pour les provinces pétrolières. Le politologue Frédéric Boily de l'Université de l'Alberta rappelle que le pétrole reste le premier produit d'exportation du Canada. « Malgré l'annulation du pipeline, le pétrole continuera d'être produit, mais sera vendu à rabais sur le marché américain en étant exporté par le transport ferroviaire qui est tout aussi polluant », fait-il remarquer.

En Saskatchewan, l’oléoduc prévoyait de parcourir 261 km au sud-ouest de la province, générant selon TC Energy, l’entreprise derrière le projet, 1 200 emplois temporaires et près de 3 millions de dollars de recettes par an pour plusieurs municipalités rurales. Les pertes essuyées par l’Alberta sont bien plus considérables : 1,5 milliard de dollars avait déjà été investi, et autant dans des garanties de prêt. 

Quel impact ?

Daniel Béland
Le politologue Daniel Béland est depuis 2019 le directeur de l'Institut d'études canadiennes de l’Université McGill.
Photo : David Stobbe
 Pour Daniel Béland, directeur de l'Institut d'études canadiennes de l’Université McGill et ancien chercheur à l'Université de la Saskatchewan, la perte du projet Keystone XL est plus importante politiquement qu’économiquement pour la Saskatchewan qui dépend moins du pétrole que sa province voisine. « Le retrait par Joe Biden est une mauvaise nouvelle pour le gouvernement Moe sur le plan politique », résume-t-il. 

Malgré tout, l'impact sur la Saskatchewan n'est pas négligeable selon Frédéric Boily. « Keystone XL allait développer plusieurs municipalités rurales du sud de la province et plusieurs communautés autochtones qui ont adhéré au projet. De plus, l'annulation du projet impactera tout l'Ouest canadien en envoyant un mauvais signal. D'autres projets énergétiques qui exigent l'adhésion américaine pourraient être annulés dans l'avenir », perçoit-il.

De son côté, le professeur spécialisé en politiques publiques à l'Université de la Saskatchewan Marc-André Pigeon estime que la réaction des gouvernements conservateurs de l'Alberta et de la Saskatchewan relève d’une sorte d'aveuglement. La décision de Joe Biden était bien prévisible selon lui : « Scott Moe et Jason Kenney semblaient être confiants en leur paradigme plus qu’en la réalité, en allant jusqu’à engager des fonds en sous-estimant le risque élevé de blocage du projet. ». Pour lui, les gouvernements de l'Ouest ont manqué de planification. 

Vers une percée des mouvements radicaux ?

En octobre 2020, lors du scrutin provincial en Saskatchewan, le mouvement indépendantiste représenté par le Parti Buffalo, ancien Wexit Saskatchwan, a récolté des voix considérables, même s’il n’a pas décroché de siège au parlement. L'annulation de Keystone XL suscitera-t-elle une radicalisation de ces voix mécontentes ? 

« La décision d’annuler le permis est venue de Washington et non d’Ottawa. Ce serait impossible d’en faire porter tout le blâme à Justin Trudeau et au gouvernement fédéral. Toutefois, cette décision pourrait inciter Kenney et Moe à pousser encore davantage pour la construction de nouveaux pipelines transcanadiens, ce qui pourrait exacerber les tensions », songe Daniel Béland.

Pour Frédéric Boily, la décision de Joe Biden pourrait donner un argument de plus aux conservateurs et aux indépendantistes, accusant Ottawa d'être trop passive quand il s'agit de défendre les intérêts de l'Ouest canadien. Une possibilité d’autant plus forte que ces mouvements radicaux sont capables de mobiliser une base très active sur le terrain, note Marc-André Pigeon.

Pousser la diversification

Oléoduc
Crédit: Jotoya - Pixelbay
 Le dossier Keystone XL est une leçon qu’il ne faut pas placer tous ses œufs dans le même panier selon Marc-André Pigeon. Qui plus est, la Saskatchewan serait une province bien lotie, présentant un potentiel énorme en énergies solaire et éolienne. « La province pourrait convertir au besoin les travailleurs des énergies fossiles vers de nouveaux métiers et continuer de plaider pour les produits canadiens qui sont produits en respect avec les normes sociales et environnementales », avance le professeur.

Daniel Béland abonde dans le même sens : « L’avenir semble plus radieux pour des provinces où l’hydroélectricité est reine comme la Colombie-Britannique et le Manitoba que pour la Saskatchewan et l’Alberta qui dépendent encore trop des hydrocarbures sur le plan économique et fiscal. » Aussi encourage-t-il à poursuivre dans la voie de la diversification : « La diversification économique doit se poursuivre et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour encourager le développement de l’énergie verte », dit-il.

Pour sa part, Frédéric Boily se veut plus tempéré. Le chemin vers la diversification de l'économie sera long et conflictuel d’après le politologue albertain : « Depuis quelques années déjà, nous remarquons une diversification timide de l'économie en Alberta. C'est un processus qui prendra du temps et nécessitera la mobilisation de plusieurs générations », estime-t-il.

Article précédent Biden renforce « Buy America » : le Canada en a vu d’autres
Prochain article Cap sur le tourisme local pour relancer l’économie fransaskois
Imprimer
13317

Mehdi JaouhariMehdi Jaouhari

Autres messages par Mehdi Jaouhari
Contacter l'auteur

Contacter l'auteur

x
Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan

Le CCS sur Facebook

Nouvelles du CÉCS

2 postes à combler : Conseillers.ères en développement économique

Le Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉCS) est à la recherche de deux Conseillers/Conseillères en développement économique (CDÉ). Date de clôture : 17 décembre 2021 Plus de détails The post 2 postes à combler : Conseillers.ères en développement économique appeared first on CÉCS.

Poste à combler : Conseiller.ère en emploi

Le Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉCS) est à la recherche d’un conseiller(ère) en emploi).  DÉTAILS The post Poste à combler : Conseiller.ère en emploi appeared first on CÉCS.

Offre d’emploi : Coordonnateur.trice du programme Jeunesse Canada au Travail

Le Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉCS) est à la recherche d’un Coordonnateur/Coordonnatrice du programme Jeunesse Canada au Travail dans les deux langues officielles (JCTDLO). DÉTAILS The post Offre d’emploi : Coordonnateur.trice du programme Jeunesse Canada au Travail appeared first on CÉCS.
RSS
1345678910Dernière

Actualité économique

Le FDÉFP, une bouffée d’air pour la fransaskoisie Le FDÉFP, une bouffée d’air pour la fransaskoisie

Le FDÉFP, une bouffée d’air pour la fransaskoisie

Grâce aux financements du Fonds de développement économique francophone des Prairies (FDÉFP), trois organismes fransaskois peuvent concrétiser...
3981
La Belgique tisse des liens avec la Saskatchewan La Belgique tisse des liens avec la Saskatchewan

La Belgique tisse des liens avec la Saskatchewan

L'ambassadeur de Belgique au Canada, Patrick Van Gheel, a effectué une visite officielle en Saskatchewan du 24 au 27 octobre afin de...
5489
Le CÉCS dresse le portrait des régions Le CÉCS dresse le portrait des régions

Le CÉCS dresse le portrait des régions

Disponibles sur le site du Conseil économique et coopératif de la Saskatchewan (CÉCS) depuis la mi-juin, six rapports statistiques offrent un...
4863
Gaspillage alimentaire : la Saskatchewan veut mieux faire Gaspillage alimentaire : la Saskatchewan veut mieux faire

Gaspillage alimentaire : la Saskatchewan veut mieux faire

Depuis le 3 août, une nouvelle application, Too good to go, permet aux habitants de Regina et de Saskatoon de réduire leur gaspillage alimentaire....
4906
RSS
1345678910Dernière
Conditions d'utilisationDéclaration de confidentialité© Copyright 2024 Journal L'Eau Vive. Tous les droits sont réservés.
Back To Top