Mon amie Geneviève m'écrivait en mai dernier : « Si rien n'est fait, pas dénoncé mais fait, la planète va assister au spectacle d'une île qui meurt de faim ».(*) Rien n'a été fait. Ça a empiré. À la pénurie alimentaire s'ajoute le manque de médicaments. Elle a mal, mon amie Geneviève. Depuis le 4 août. Il lui faudrait des relaxants musculaires, de l'ibuprofène, des bandes anti-inflammatoires. On ne trouve rien de tout ça. Ni dans les pharmacies, ni à l'hôpital, ni même à la clinique internationale.
« Nous sommes en pleine crise humanitaire », m'écrivait-elle il y a quelques jours. « Je ne vois pas de futur pour nous. Les Cubains sont forts, mais y'a des limites. Je souffre comme je n'ai jamais souffert de ma vie ». Quand une femme aussi forte et aussi vivante que Geneviève écrit « je ne vois pas de futur pour nous », j'oscille entre une immense colère et la déprime totale. Ça n'a pas de maudit bon sens.
Pour faire de Cuba une « démocratie »
Ce n'est pas la Covid-19 qui est à l'origine de la crise dans laquelle Cuba est plongée. Ce sont les États-Unis. Plusieurs mois avant les fermetures de frontières imposées par la pandémie, les restrictions imposées par l'administration Trump commençaient à se faire sentir.
La Loi Helms-Burton, ça vous dit quelque chose? Adoptée en 1996, cette loi visait à renforcer l'embargo économique sur Cuba (imposé depuis 1962) dans le but avoué de faire tomber le gouvernement castriste au profit d'une démocratie. Elle avait été fortement critiquée par la communauté internationale comme violant le droit international et le principe de souveraineté nationale. Le président Clinton avait immédiatement reporté l'application du titre III de la loi, selon lequel les États-Uniens peuvent poursuivre en justice des sociétés étrangères (y compris canadiennes) liées à des propriétés confisquées lors de la révolution cubaine.
Les présidents qui se sont succédé ont renouvelé cette suspension tous les six mois. Les relations entre les deux pays se sont réchauffées pendant le mandat de Barack Obama. Tout ça s'est arrêté avec Donald Trump. En avril 2019, son administration décidait de resserrer l'étau pour punir Cuba d'avoir soutenu le Président Maduro du Venezuela. Selon le secrétaire d'État américain Mike Pompeo, ce soutien «menace directement les intérêts de la sécurité nationale des États-Unis». Cette première application du titre III a été dénoncée par les 31 délégations qui ont participé, en novembre 2019, au débat annuel de l'Assemblée générale des Nations-Unies sur la nécessité de lever le blocus économique, financier et commercial imposé à Cuba.
Comme si ça ne suffisait pas, on s'attaque à la réputation, pourtant bien établie, d'aide médicale internationale de Cuba. Selon les États-Unis, Cuba participerait ainsi à la "traite de personnes", rien de moins ! En juin dernier, le projet de loi Cut profits to the Cuban Regime Act a été présenté par trois sénateurs républicains. Son objectif : sanctionner les pays qui collaborent avec les missions cubaines – et participent donc à la « traite de personnes ».
C'est quoi le problème?
C'est quoi l'obsession cubaine des États-Unis ? Il est où le problème ? À la rigueur, on peut se dire qu'à l'époque de la Guerre froide, la méfiance était de mise, du moins pour certains. Mais maintenant ?
Cuba soutient Maduro ? Et puis après ? La Russie aussi soutient Maduro. À ce que je sache, ça n'empêche pas Trump de faire copain-copain avec Vladimir Poutine. Cuba n'est pas une démocratie? L'Arabie saoudite non plus, ce qui n'empêche pas des liens étroits entre Washington et Riyad. Et puis, franchement, vous la trouvez belle vous, la « démocratie » telle que pratiquée par le 45e président des États-Unis?
Plutôt que de se préoccuper de la pandémie dont les États-Unis sont devenus l'épicentre, Trump et ses acolytes préfèrent s'acharner sur un petit pays qui a le malheur de se dire socialiste. Pourquoi ? Pour gagner des votes en Floride ?
Ah, démocratie, quand tu nous tiens...
(*)Voir Cuba, l'île abandonnée au temps de la Covid-19, Eau vive, 8 mai 2020