André Moquin, récit vivant de la fransaskoisie
Né en Saskatchewan dans les années 1940, André Moquin ne s’est jamais vraiment éloigné de sa terre natale. Fils et petit-fils de colons de l’Ouest, l’enseignant a œuvré toute sa vie pour l’avancement de l’éducation en français dans sa province. Citoyen engagé, il fait partie de cette génération de pionniers sans qui l’école en français n’existerait pas pour les jeunes Fransaskois d’aujourd’hui.
Le parcours d’André Moquin, c’est aussi celui de la cause scolaire en Saskatchewan. Son histoire remonte aux origines de la province, un temps où, pleins d’espoir, les colons affluaient d’horizons multiples pour apprivoiser les Prairies.
Son grand-père avait acquis l’un des fameux homesteads offerts par le gouvernement fédéral pour coloniser l’Ouest canadien. La famille s’était ainsi installée à Gravelbourg en 1910, au sud-ouest de Regina, cinq ans seulement après la création de la province.
Toutefois, la Grande Dépression et la sécheresse des années 1930 forcèrent la famille à déménager. En pleine crise de 1929, le père d’André Moquin devint à son tour un homesteader, cette fois au nord-ouest de la province, dans le petit village de Makwa, à quelque 600 kilomètres de Gravelbourg. C’est là qu’André Moquin naquit en 1944, « dans l’entrée de l’hôpital de Loon Lake », souligne-t-il, sourire aux lèvres.
Coup du sort, un incendie ravagea la maison des Moquin en 1954 qui repartirent alors pour Gravelbourg. André échappa au drame, déjà pensionnaire à Gravelbourg pour bénéficier d’une éducation catholique en français, chose impossible à Makwa. « J’étais pensionnaire dès l’âge de 8 ans. Je partais en septembre, je ne voyais pas mes parents jusqu’au mois de juin. Je n’ai pas trouvé ça dur mais, comme parent aujourd’hui, je me dis que ça n’a pas d’allure », analyse-t-il avec recul.
Une vie meilleure
Son père devint le bedeau de la cathédrale de Gravelbourg, dont le curé n’était autre que son oncle Arthur. La famille Moquin passa ainsi des champs de céréales aux cloches liturgiques, une condition bien plus favorable pour l’époque : « La vie de fermier était dure. Il n’y avait pas de céréales adaptées à l’écologie du Nord. Ça poussait bien, c’était beau, mais avec une pluie toute la récolte se couchait à terre, ça séchait plus, ça germait et c’était perdu », se rappelle André.
Commença alors une nouvelle vie pour la famille de huit enfants, désormais locataires du sous-sol de la cathédrale. « Ça a été de bonnes années. On était nombreux, mais c’était une bonne vie. » André put poursuivre ses études au Collège Mathieu de Gravelbourg, puis à l’Université d’Ottawa. À 21 ans, son baccalauréat en éducation en poche, il revint parmi les siens pour enseigner à l’école élémentaire. « Il n’y avait pas d’école d’immersion ou d’école désignée à ce moment-là », se souvient-il. Le français n’existait que deux heures par semaine, pour le catéchisme.
Une révolution scolaire
La Loi scolaire de 1968 changea la donne en autorisant la création d’écoles désignées où le français pouvait être enseigné ou utilisé comme langue d’enseignement. À la rentrée de 1972 existaient ainsi treize écoles désignées, regroupant quelque 1 000 élèves. Le Collège Mathieu était alors le seul établissement de niveau secondaire de la province à proposer un enseignement en français.
La Loi scolaire de 1978, amendée en 1979, divisa ensuite ces écoles en deux groupes : d’un côté, les établissements de type A avec le français comme langue maternelle ; de l’autre, les écoles de type B avec le français comme langue seconde. « Les mentalités avaient changé », résume André. Cette évolution fut renforcée par l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés de 1982.
Malgré tout, la peur de l’assimilation dans des établissements plus bilingues que francophones incita les Fransaskois à demander leurs propres écoles ainsi que la capacité de les gérer eux-mêmes. André s’engagea alors, une évidence pour lui : « Comment ignorer tout ce mouvement-là, après avoir vécu les sacrifices de mes parents pour me donner une éducation française ? »
Un pionnier
En 1977, André devint le directeur académique du Collège Mathieu. Quatre ans plus tard, il entra au Bureau de la minorité de langue officielle au sein du ministère de l’Éducation. Puis, il rejoignit le comité Gallant établi en 1988 afin de militer pour la gestion scolaire par et pour les francophones. Le rapport qui en découla fut approuvé par le gouvernement conservateur de Grant Devine. « C’était le squelette, la charpente du système scolaire francophone pour la Saskatchewan », souligne l’enseignant.
André fut par la suite directeur exécutif associé du comité de mise en œuvre de la gestion scolaire aux côtés de Michel Dubé. Ensemble, ils travaillèrent d’arrache-pied pour faire de ce projet une réalité. Malgré tout, à la veille des élections, le gouvernement Devine refusa de déposer à l’Assemblée législative le projet de loi. « Ils ont eu froid aux pieds », regrette le militant.
Cette déconvenue ne découragea pas pour autant le Fransaskois. Au contraire, il devint le directeur général du comité de 1991 à 1993. « On voulait continuer, on ne voulait pas perdre le momentum », relate-t-il. La victoire survint en 1993 lorsque la gestion scolaire fut officiellement accordée aux francophones à l’Assemblée, en partie grâce à l’élection d’un gouvernement néo-démocrate en 1991.
Le Conseil général des écoles fransaskoises fut alors créé. « Chaque école avait son conseil scolaire, avec son budget, sa formule de financement. Le conseil général avait une responsabilité limitée. Les décisions se prenaient localement », explique André qui sera directeur des Conseils des écoles du nord de la province de 1994 à 1999.
En 1999, les conseils scolaires fusionnèrent, créant ainsi le Conseil des écoles fransaskoises (CÉF) actuel. « Ça a simplifié beaucoup les choses. Quand j’étais directeur, j’avais six conseils scolaires, ça faisait six réunions par mois. À chaque fois, il fallait voyager. Ça faisait des kilomètres et des kilomètres. C’était intenable. » Sans compter qu’il fallait trouver des bénévoles dans chaque communauté.
Après cette grande fusion, l’enseignant prit sa retraite. Avec 35 ans de service en enseignement derrière lui, sa mission était accomplie : « J’étais heureux, ça roulait bien. Le nombre d’étudiants augmentait chaque année. C’était avec une grande satisfaction que je prenais ma retraite. »
Passer le flambeau
Depuis le début des années 2000, André Moquin reste actif dans la fransaskoisie, même s’il dit vouloir lever le pied. Il a, entre mille autres choses, présidé le comité organisateur du centenaire de la co-cathédrale de Gravelbourg et s’implique encore en tant que président du conseil paroissial de la pastorale de la ville.
En outre, le pionnier de l’éducation française en Saskatchewan garde un œil sur son environnement. « Je suis toujours très heureux de voir que ça continue à grandir. Mais je m’inquiète beaucoup pour les communautés rurales, comme à Gravelbourg, où le nombre d’étudiants est un peu stagnant », partage-t-il.
Le Fransaskois a reçu un grand nombre de reconnaissances pour l’ensemble de sa carrière et de son engagement citoyen. Il a notamment été nommé membre honoraire de l'Association canadienne d'éducation de langue française (ACELF), a reçu la Médaille du bénévolat de la Saskatchewan des mains de la lieutenante-gouverneure et, plus récemment, a été reçu au sein de la Compagnie des Cent-Associés. « Toutes sont un honneur. Je me dis toujours que ce n’est pas uniquement à moi, car j’ai eu l’appui de la communauté pour réussir. C’est gratifiant. »
Si son implication fait figure d’exemple, la relève saura-t-elle suivre ses pas ? « Si ces choses-là sont importantes pour toi, il faut t’engager. Tu ne peux pas rester assis dans ton fauteuil, chialer et ne rien faire. Il faut que tu y mettes le temps », avise-t-il. André Moquin, lui, y aura consacré le temps d’une vie.
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