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Horizons - chronique littéraire du Cercle des écrivains de la Saskatchewan

Pas de bagages à la consigne s'il vous plait

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–       Ouff ! Attention. Vous m’écrasez. Je vais étouffer ici si vous ne me donnez pas un peu d’espace pour respirer. Pour qui vous prenez-vous ?

–       Je m’excuse. Ma propriétaire est arrivée en trombe à la dernière minute. La vache, elle est toujours en retard. Comme si nous n’avions jamais fait ce voyage ensemble.

–       Ce n’est pas la première fois ? Raison de plus….

–       Vous croyez ? Mais cette fois elle a eu tellement de retard qu’elle a dû acheter son billet en montant dans l’autocar. Le chauffeur n’était point content. C’est pour ça qu’il nous a donné un bon coup de pied pour nous faire rentrer ici-dedans. Vous savez ça fait une vingtaine d’années qu’on fait le même voyage bimensuel.

–       Mon Dieu.

–       Les racines des cheveux commencent régulièrement à se faire remarquer, surtout avec la teinte qu’elle porte depuis toujours : le roux Hélène. Alors vite elle fait sa valise – moi en l’occurrence – et nous voilà en route pour le coiffeur dans la grande ville. Si seulement elle prenait autant soin de ma peau à moi ! Si vous pouviez me voir ! Mon cuir est terriblement usé après tous ces trajets à la panique. Je me sens comme une vieille paire de chaussures craquelées par le mauvais temps et l’inattention. On dirait que j’ai fait quelques danses de trop, ma chère. Mais vous, je vous ai aperçue avant que le chauffeur ne ferme la trappe sur nous et j’ai remarqué que vous avez l’air toute neuve.

–       Merci.

–       Même dans le pénombre de ce coffre je vois que vous êtes nombreuses aussi: seriez-vous tout un kit de bagages assortis ?

–       C’est vous qui le dites. Bleu marin.

–       Chapeau ! J’adore le bleu marin. Chez nous on a un faible pour l’orange et le rouge de clown. Si j’avais des yeux je les roulerais bien ronds.

–       Il y en a même d’autres dans notre équipe.  Plus petites évidemment. Des valises à main, très cutes. Très féminines.

–       Elle les a sans doute mises dans le porte-bagages au-dessus de son siège à l’intérieur. Bien mieux que dans les avions alors. Il y a tellement de restrictions aériennes de nos jours. Et puis on doit payer pour se faire fouiller ! Quelle corvée insultante que de voyager dans l’air. Je veux dire « par avion ». Le chauffeur a fait de son mieux pour nous faire voler dans les airs avec ses coups de grosses bottes.  Puis hop ! entassées que nous sommes dans ce coffre comme dans une boîte de sardines.

–       C’est une nouvelle vie pour ma propriétaire. Il fallait tout remplacer. Repartir à zéro. Et voilà, elle nous arrache de la maroquinerie et  dans un flash je me retrouve dans son petit appartement. Modeste, mais l’harmonie et le bon goût y règnent. Elle est fanatique de feng shui.

–       Mes excuses encore. Ma bousculade était impardonnable, mais je vous assure que ce n’était pas exprès. C’est un nouveau chauffeur. Il doit être sur les nerfs. Dites ? on peut se tutoyer étant donné l’intimité et l’anonymat du noir de ce harem?

–       Oui, oui, si vous… si tu veux.

–       Il y a de la parenté qui t’accueillera à l’arrivée ? Je veux dire toi, ta propriétaire et toute la ribambelle de petites valises cute?

–       Si seulement on savait. Ça dépend d’un certain membre de la famille.

–       Tu m’en dis des nouvelles. Ma propriétaire a hâte de voir sa petite nièce.  Elle va l’emmener au zoo dimanche prochain. Elles vont visiter le célèbre tigre royal du Bengale.  Par contre elle ne peut pas blairer la maman, sa sœur Louise, c’est un animal d’une tout autre espèce, elle. Jalouse. Rébarbative. Méchante… On s’attendrait à mieux d’une psychiatre agrégée… À mon avis elle devrait bien être certifiée, la folle.

–       Pour ma propriétaire il s’agit d’un membre d’une autre sorte. N’en parlons pas.

–       Bien… l’absence…

–       Oui, tu dis bien vrai. Entre temps, bien des choses ont changé.

–       Et je t’avertis, cette route est toujours un peu cahoteuse.

 

 

 

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