Le mardi 4 août, une déflagration en deux temps défigurait la capitale libanaise, laissant dans son sillage plus de 170 morts, des milliers de blessés, une population livrée à elle-même et un pays brisé par des années de souffrance acharnée.
Deux Saskatchewanais issus de la diaspora libanaise joignent leurs voix à la vague d’indignation qui a secoué le monde entier après cette tragédie qui frappe un peuple déjà en proie à une pauvreté sans précédent.
La pointe de l’iceberg
Les 2 700 tonnes de nitrate d’ammonium qui ont explosé dans le port de Beyrouth n’ont fait que révéler une triste réalité : celle d’un pays profondément plongé dans un état de crise, et ce, depuis des décennies.
« Le peuple libanais souffre depuis longtemps du chômage, de la pauvreté, de l’inflation… Et le gouvernement en place ne fait rien », déplore Bassel Abouchakra, un Réginois fransaskois qui a quitté le pays du cèdre à la fin des années 1990.
Même son de cloche chez Mustapha Itani, résidant à Regina, lui-même parti de son pays natal depuis deux décennies : « Cet événement met en lumière l’incompétence des autorités gouvernementales et la corruption qui fait rage depuis trop longtemps. »
Une nation ravagée
Le Liban n’en est effectivement pas à ses premières souffrances. Après les déchirements d’une guerre civile débutée au milieu des années 1970 pour se terminer au début des années 1990, cet État du Proche-Orient connaît sa part d’instabilité politique et de crises économiques. Le tristement célèbre parti politique et groupe islamiste chiite du Hezbollah, considéré par plusieurs nations comme une organisation terroriste, est d’ailleurs basé au Liban.
« Plus récemment, en 2019, on a vu un large mouvement populaire, la thawra, [qui signifie révolution en arabe] prendre forme pour contester l’incapacité du gouvernement à faire face aux énormes défis du pays sur le plan économique et social », indique Bassel Abouchakra.
Avec un taux de chômage avoisinant aujourd’hui les 60 % et une inflation des plus galopantes, les Libanais sont un peuple résilient, fait remarquer Bassel Abouchakra, mais cette nouvelle catastrophe les précipite un peu plus dans le gouffre.
« Au Liban, même si vous avez de l’argent, les banques bloquent votre compte, il ne vous est pas possible de retirer des fonds, ce sont elles qui décident pour vous, explique M. Itani. Je ne sais pas si les gens ici peuvent vraiment comprendre cette réalité, on se sent tellement impuissants, il n’y a pas d’issue, les gens sont littéralement pris en otage. »
Pays d’attache
La diaspora libanaise est l’une des plus importantes au monde avec, selon les estimations, entre 4 et 14 millions de personnes éparpillées aux quatre coins du globe. Malgré les milliers de kilomètres de séparation, la proximité à la mère patrie reste palpable, comme en témoignent les deux expatriés de Regina.
« En plus de parler à ma famille régulièrement, j’ai dix canaux de télévision libanais et je lis la presse du pays », précise M. Abouchakra qui n’a pas eu l’occasion de « refouler » les terres natales depuis son départ.
M. Itani, quant à lui, caressait l’idée d’un retour au pays, mais se dit maintenant incertain quant à la réalisation d’un tel rêve. « Je ne sais pas si ce sera possible étant donné le climat instable et la colère populaire qui gronde là-bas. »
Au fil des jours, la grogne du peuple libanais ne cesse de grandir, forçant notamment une partie de la classe politique à plier bagage. Une mince consolation face aux multiples facteurs de mécontentement. Toutefois, cette terrible tragédie aura servi à placer les projecteurs sur le Liban. « Tous les yeux sont tournés vers la capitale libanaise et le pays. La mobilisation internationale est extraordinaire. C’est donc l’occasion de faire bouger les choses », perçoit Mustapha Itani, optimiste.
Le facteur français
Le Liban a obtenu son indépendance de la France en 1943, mais les liens culturels et politiques qui unissent les deux pays sont encore très forts. « Le président français a été un des premiers à venir sur place, on ressent beaucoup de soutien et d’attachement au régime français », perçoit M. Abouchakra.
Le Canada, et particulièrement le Québec, reste une destination de choix pour les immigrants libanais. D’ailleurs, après avoir d’abord résidé au Québec, Bassel Abouchakra continue de faire rayonner sa langue et sa culture, bien vivante, en Saskatchewan.
Si le peuple libanais est plongé dans un état de pauvreté endémique exacerbé par cette nouvelle épreuve, les Beyrouthins doivent se retrousser les manches pour « nettoyer, vivre leurs deuils, s’occuper de leurs blessés, puis descendre dans la rue », estime Mustapha Itani. Un mal nécessaire qui ouvre la voie à une nouvelle thawra.