Un projet d’envergure pour arroser les terres sèches de la Saskatchewan
Clémence Grevey FRANCOPRESSE – Au Sud de Saskatoon, le lac Diefenbaker joue depuis plusieurs décennies le rôle de réservoir pour les résidents et les agriculteurs de la région. Le grenier du Canada souffre toutefois des changements climatiques, si bien que les 9 milliards de mètres cubes d’eau du réservoir ne sont plus suffisants pour abreuver les cultures. La province travaille donc depuis 2020 à un projet qui devrait augmenter significativement la surface des terres irrigables en Saskatchewan.
Le lac Diefenbaker, nommé en 1967 d’après le premier résident de la Saskatchewan à devenir premier ministre, découle d’un projet d’élargissement de la rivière Saskatchewan Sud lancé en 1958.
À l’heure actuelle, le réservoir permet d’irriguer environ 110 000 acres de terres. Au cours des dix prochaines années, la province investira 4 milliards $ pour quadrupler cette superficie qui pourrait totaliser plus de 500 000 acres lorsque le projet sera complété.
Le promoteur du projet, la Saskatchewan Water Security Agency (WSA), une organisation indépendante responsable de la gestion des ressources en eau en Saskatchewan, propose de procéder en trois phases : les deux premières consisteront à développer le système de canaux d’irrigation Westside, au nord-ouest du lac, et la troisième à étendre le système d’irrigation de Qu’Appelle South, au sud du lac Diefenbaker.
Pour le directeur des communications et porte-parole de la WSA, Patrick Boyle, cela «fournira une sécurité en ce qui concerne l’apport de l’eau pour la province».
Renouvèlement d’un projet
L’ouest du pays subit les conséquences d’un climat aride et les changements climatiques ont une dure incidence sur les fermiers qui doivent trouver des moyens d’arroser leurs cultures.
Le lac Diefenbaker est un réservoir qui a été créé en 1967 à la suite des inondations provoquées par les barrages sur les rivières Qu’Appelle et South Saskatchewan.
Chandra A. Madramootoo, professeur James McGill au Département de génie des bioressources à l’Université McGill, explique que le projet de prolongement des canaux d’irrigation s’est arrêté en 1973 et n’a pas été repris depuis. «Aujourd’hui, il y a un renouvèlement du projet pour l’utilisation de l’eau du lac Diefenbaker en ce qui concerne l’irrigation. Cela s’est passé dans les deux à trois dernières années.»
Chandra A. Madramootoo, professeur James McGill au Département de génie des bioressources à l’Université McGill. Photo : Courtoisie
Selon Patrick Boyle de la WSA, le projet comporte de nombreux avantages et va «fournir une sécurité en ce qui concerne l’apport en eau pour la province.»
Patrick Boyle est directeur des communications et porte-parole de la Water Security Agency. Photo : Courtoisie
Il précise que le but est, d’une part, d’irriguer davantage les terres à l’est du lac artificiel, et d’étendre l’irrigation à l’ouest et au sud du lac.
Ray Orb, président de la Saskatchewan Association of Rural Municipalities (SARM), abonde dans le même sens. «Ce projet va créer de nouveaux emplois et les gens vont pouvoir produire davantage de nourriture, car il y aura plus d’acres irrigués grâce à l’eau en provenance du lac Diefenbaker».
En juillet 2020, la province estimait que «le projet créerait 2 500 emplois dans la construction par an, au cours des dix prochaines années». Le gouvernement saskatchewanais prévoyait également que son investissement de 4 milliards $ «entrainera une augmentation de 40 à 80 milliards $ du produit intérieur brut de la province au cours des 50 prochaines années.»
Un besoin d’eau
À l’été 2021, l’Ouest canadien a été frappé par une sècheresse dévastatrice pour les éleveurs et les agriculteurs.
Le professeur Madramootoo précise que «le sud de la Saskatchewan est une région très sèche, c’est une région semi-aride. Il y a un besoin en eau pour soutenir les cultures comme le blé, le canola, les pommes de terre, les pois sucrés, les pois, les lentilles, etc. Toutes ces cultures ont besoin d’irrigation».
Le système actuel ne parvient pas à fournir toute l’eau nécessaire, un problème qui risque de s’accentuer avec les changements climatiques. «Le gouvernement de la Saskatchewan et le gouvernement du Canada ont réalisé qu’il y a un besoin de fournir de l’eau afin d’assurer la sécurité alimentaire au pays», ajoute l’expert.
Il juge que les nouveaux projets d’irrigation du lac Diefenbaker vont «aider à régler ce problème. [L’agriculture] requiert beaucoup d’eau, alors si l’on veut fournir de la nourriture et compétitionner sur le marché mondial, le Canada doit se positionner» pour y parvenir.
Le professeur Madramootoo met les besoins en irrigation en perspective de la crise en Ukraine puisque «nous savons qu’il y a un manque de nourriture à cause de la crise ukrainienne, et l’Ukraine est un des plus gros producteurs de blé au monde».
Il y voit une opportunité pour le Canada de se positionner à l’international : «[La planète] manque d’eau en raison des changements climatiques. Si nous avons de l’irrigation, des ressources d’eau, la technologie, si nous savons comment faire, s’il y a un leadeur en matière d’irrigation dans le monde, pourquoi nous ne le ferions pas dans notre propre pays, notre province, pour répondre à la demande en ce qui concerne la nourriture?»
D’après lui, le projet du lac Diefenbaker aurait dû être complété bien plus tôt afin de répondre à la demande, qui était déjà présente lors de la construction de la première phase du projet.
Une prudence est à adopter
Des défis sont néanmoins à prévoir selon Ray Orb, président de la SARM.
«Il y a peut-être des plantations qui seront différentes, soit des légumes, donc les fermiers devront diversifier leur offre et cela peut couter de l’argent. Ils pourront obtenir de l’argent de la part de personnes qui sont expertes dans ces différentes cultures […]. Cela n’est pas très commun en Saskatchewan et il y aura de larges cultures de légumes dans le futur […] sur une échelle plus grande, je pense que c’est le but éventuellement ; la diversification.»
La seconde phase du projet d’irrigation du lac Diefenbaker est menée par trois partenaires, à savoir Water Security Agency, le ministère de l’Agriculture du gouvernement de la Saskatchewan et le SaskBuilds et de l’Approvisionnement du gouvernement de la Saskatchewan. Ce dernier «offre ses services aux membres du public et aux ministères qui renforcent l’économie et favorisent l’amélioration de la qualité de vie pour tous les citoyens dans la province».
Peter R. Leavitt est professeur à l’Université de Regina et titulaire de la Chaire de recherche en changement environnemental et société. Il ne se dit pas opposé au projet, mais préconise quelques modifications quant au processus qui doit impliquer la consultation des groupes touchés, l’aspect économique et environnemental.
«Le problème est que ce n’est pas la province qui réalise l’étude d’impacts», ajoute-t-il. Selon lui, il devrait y avoir davantage de consultations puisqu’il y a «de nombreuses inquiétudes de la part des communautés autochtones en ce qui concerne les effets de ce projet sur les traités». Au niveau environnemental «on commence à ajouter de l’eau dans le sol, il se fertilise, et donc il y a une dégradation de l’eau». Il rappelle que le Lac Diefenbaker est la plus importante source d’eau en Saskatchewan, et que sa qualité est déjà affectée en raison de l’agriculture.
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