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Gâteau aux Fruits
Estelle Bonetto
/ Catégories: Arts et culture

Gâteau aux Fruits

Le dessert le plus malmené et mal-aimé de toute l’histoire est sans doute le gâteau aux fruits. On redoute l’approche des fêtes et la réapparition dudit gâteau qui, ressuscité de ses cendres, revient hanter la table familiale. 

Que se présente sur le pas de la porte la voisine, aux multiples saisons, voire une belle ou grande mère, aussi bienveillante soit-elle, le premier réflexe est le recul, suivi inévitablement de pensées tout aussi malveillantes qui ne prennent pas quatre chemins pour exprimer l’inévitable. 

Aussitôt la charmante dame hors champ, le gâteau en cadeau prendra le seul chemin possible et inimaginable : la poubelle. Pis encore, pour les plus cruels, on prendra soin d’emballer la chose et de la déposer aux ordures directement, car qui voudrait polluer sa poubelle d’un poids si pesant ?

Ce gâteau, si dense et détesté, a pourtant eu, lui aussi, ses lettres de noblesse. Tout, de sa lente macération bien arrosée à ses ingrédients des plus exotiques comprenant épices, fruits secs et noix, relevait du nec plus ultra, de l’ultime gastronomie bien pensée. Il fallait patienter pour déguster les charmes de ce savoir culinaire ancestral. Nourrissant et noyé d’alcool, il avait aussi l’avantage de se conserver, naturellement, contre vents et marées. La production industrielle aura sans doute eu raison de la recette autrefois recherchée. Les goûts et les saveurs s’étant évaporés comme neige au soleil.

Cette histoire de « déclin culinaire » moderne offre, à mon goût, un portrait devenu amer, celui de notre rapport à la nourriture, particulièrement des aliments en fin de vie. Le gaspillage alimentaire est l’un des fléaux de nos sociétés dites modernes, où abondance, instantanéité, industrialisation, et autres blasphèmes culinaires ont remplacé l’apologie de la lenteur dans tous ses sens, de la sélection des ingrédients à la mastication des mets. On jette plus facilement une tranche de jambon anonyme que la pointe de pizza fabriquée maison ou le concombre qui aura pris le temps de pousser sous nos yeux impatients de croquer dans sa chair tiédie de la chaleur du soleil.

Toutefois, le jambon lui aussi, a droit de finir dans la dignité, celle d’être mangée. Comme le gâteau aux fruits, offert ou acheté, tout aliment mérite une fin de vie savoureuse et respectueuse.

 

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 - jeudi 14 novembre 2024