Entretien avec Laura St.Pierre, artiste de Saskatoon
À la rencontre de l’artiste (1/5)
Laura St.Pierre
Photo: Kenton Doupe (2017)
Laura St.Pierre est une artiste visuelle œuvrant principalement dans les domaines de l’installation, de la sculpture et de la photographie. Nous l'avons rencontrée dans son atelier de Saskatoon.
D’où viens-tu ?
Je suis née à Saskatoon bien qu’enfant j’aie aussi vécu à Regina. À l’âge adulte, j’ai habité à Vancouver, Edmonton, Montréal, et à Grande Prairie. Mon conjoint et moi étions nomades pendant près de 20 ans. Maintenant, nous sommes installés à Saskatoon pour de bon…
Que penses-tu de Saskatoon ?
Je préfère les villes où on n’a pas besoin d’auto pour se déplacer. J’ai beaucoup aimé habiter à Vancouver et à Montréal. Mais on a trouvé un bon quartier ici à Saskatoon, où se trouvent, à quelques minutes à pied de chez nous, une épicerie, une boulangerie, des restaurants, une quincaillerie, une piscine et une bibliothèque. Il est important pour moi que nous habitions un quartier comme le nôtre. J’aime beaucoup moins les banlieues. Afin d’être complètement heureuse à Saskatoon, il nous faudrait du transport public quasi raisonnable, car maintenant, ça fait vraiment pitié !
Comment ça se passe dans ton atelier ? Quelles sont les étapes entourant la confection d'une œuvre de Laura St.Pierre ?
En ce moment je travaille sur une série de photos de plantes préservées dans des bocaux. L’été, je fais la collection de plantes que je préserve dans de l’alcool. Depuis les feux de forêt ayant fait rage en Saskatchewan en 2015, la forêt boréale m’obsède, et j’ai passé beaucoup de temps à collectionner des plantes à Jan Lake, un lac situé au nord-est de la province. De retour à mon atelier, je commence par essayer de recréer une communauté de plantes qui sont demeurées imprégnées dans ma mémoire. Je les sélectionne afin de créer une composition et je joue avec l’éclairage. Ces étapes peuvent prendre plusieurs jours. Quand je suis satisfaite, je prends une trentaine de photos numériques. Ensuite, avec l’aide de logiciels différents, je crée une image numérique en mode « super résolution ». Ceci me permet d’imprimer les images à environ 300% de la grandeur originale des objets. Finalement, je procède à des ajustements avec Photoshop et je les imprime à jet d’encre sur un papier velouté. Cet hiver, j’ai commencé à imprimer aussi sur du canevas et sur film pour boîtes lumineuses. Je réalise aussi de courtes œuvres vidéo avec les bocaux comme sujet. Ce travail est encore dans sa phase expérimentale, mais je crois que le mouvement me permettra de mieux communiquer ce que je veux dire avec ce travail.
Quel type de sentiments et de pensées t'habitent avant, pendant et après la création d'une œuvre ?
Tout va bien dans l’atelier si je peux atteindre un état de « flow » et si je peux me trouver dans ma « zone ». C’est plus facile quand je suis seule à la maison, puisque mon atelier se trouve chez nous. J’écoute souvent de la musique électronique comme « Four Tet » ou Brian Eno, ou un podcast pour faire taire la petite voix dans ma tête qui me rappelle qu’il y a du ménage à faire ou que j’ai oublié d’envoyer un courriel à tel ou tel étudiant...
Quelle est l'idée qui a le plus contribué à enrichir ta propre réflexion sur les arts, en général, ou plus particulièrement sur ton propre travail ?
En ce moment, je réfléchis beaucoup au sujet de l’écologie et de l’environnement, et la relation entre la « nature » et l’être humain. Je lis actuellement « The Hidden Life of Trees » qui décrit les systèmes de communication entre les arbres. Ça me surprend très souvent jusqu’à quel point nous, les humains, savons très peu de choses quant aux mystères de la nature. Je suis toujours à la recherche de livres et de podcasts au sujet de la relation entre nature, psychologie humaine et environnement. Évidemment, le réchauffement climatique m’inquiète beaucoup, et je me demande quel est le rôle de l’artiste vis-à-vis l’état de la planète. Ma collection de plantes préservées et les photos qu’elles inspirent portent directement sur cette question.
Être un artiste professionnel impacte comment ta vie, celle de tes proches et celle de ta communauté ?
Il faut être absolument têtue pour avoir une pratique artistique professionnelle. L’argent, l’espace, le temps - on n’en a jamais assez - il faut donc se débrouiller. Alors, moi et ma famille, nous vivons plus simplement que ne le font bien d’autres pour me permettre de continuer à être artiste. Je suis très reconnaissante du sacrifice qu’ils font. Aussi, ils doivent accepter que je sois têtue non seulement face à ma pratique artistique, mais têtue en général. Ce n’est pas facile pour eux !
Quels artistes te sont une source d'inspiration ?
J’avoue qu’en ce moment ce sont les écrivains qui m’inspirent vraiment. Haruki Murakami, Margaret Atwood, Rebecca Solnit, Alice Munro, Jeanette Winterson, Ursula K Leguin… C’est une liste bigarrée, mais voilà… Ces auteurs ont tous en commun une fine exploration de la psychologie des personnages.
Quel livre prend une place particulière actuellement sur ta table de chevet ou dans ta bibliothèque ?
« River of Shadows » par Rebecca Solnit. C’est une écrivaine sans pareille, et ce livre en particulier discute l’histoire de la photographie et du cinéma d’une façon absolument captivante.
Quelle place prend la langue, d'une part dans ton quotidien, et d'autre part, dans ta pratique plastique ?
Le processus de décrire et d’expliquer ma démarche artistique est souvent difficile, et c’est quelque chose que j’évite. Mais c’est aussi essentiel pour faire des demandes de bourse et d’exposition, et les entrevues comme celle-ci. Un grand nombre d’artistes faisant du bon travail ont moins de succès qu’ils ne le devraient parce qu’ils ne savent pas bien écrire. Le processus me semble un genre de torture ou de punition, mais j’en sors toujours avec les idées moins vagues, et souvent avec une nouvelle piste à suivre. Alors ça vaut la peine, mais je préfère prendre des photos.
Tu peux nous dire un mot au sujet du collectif Sans-atelier ?
Je suis revenue à Saskatoon il y a environ 3 ans. Je cherchais un atelier - un gros défi en ville- et une amie a suggéré qu’il y aurait peut-être de l’espace chez Sans-atelier. Depuis ce temps-là nous avons perdu l’espace que nous louions ensemble. L’embourgeoisement nuit vraiment à la pratique artistique… Je m’estime très chanceuse d’avoir rencontré les autres membres. C’est une gang très sympathique et on continue de s’appuyer les uns et les autres comme on peut.
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