Horizons

Chronique littéraire publiée dans l'Eau vive

Terre promise
Gilbert Troutet

Terre promise

 

« Quand le dernier vieux loup hurlera son ultime prière au ciel,

nous entendrons pour une dernière fois la note aiguë de l’âme sacrée de bois. »

(Serge Bouchard)

 

Au commencement était le nord

Le nord de ce pays

où le ciel s’éternise

où les aurores dansent la nuit

La forêt déployait son manteau d’épinettes

jusqu’aux franges de la toundra

Les rivières roulaient des eaux écumeuses

limpides

Là naissait le saumon

Des chapelets de lacs

turquoise

émeraude

S’égrenaient à la file indienne

 

Au commencement était la vie

Des hordes de caribous

arpentaient la plaine

Aux premières gelées

De grands vols de bernaches

pointaient vers le sud

faisant halte parfois sur les îles

De loin en loin

Un filet de fumée

s’élevait de quelques tipis

 

Sont venus les coureurs-de-bois

les chercheurs d’or

les marchands de sables mouvants

Sous leurs pieds

Une terre noire

comme l’asphalte de leurs rues

Ils ont creusé l’idée

mine de rien

Bûché le bois

Chassé l’Indien

 

Sont revenus les dinosaures

Qu’on croyait disparus

depuis la nuit des temps

Métal hurlant

Monstres d’acier

Les pattes dans la fange

La tête ailleurs

à Montréal ou Calgary

 

Et voici la terre promise

celle qui livre tout son suc

Après nous le désert

La table est mise

Mais le couvert

reviendra-t-il jamais?

 

Je n’aurai plus pour toi un lac

ni forêt millénaire

ni rivière à saumon

ni orignal ni caribou

Les oiseaux de passage

Feront un grand détour

par les contrées sauvages

s’il en reste

Alors nous nous dirons

incrédules et contrits

que nous avons perdu le nord

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