Identités marginalisées, diversité et esprit d’inclusion dans le théâtre de l’Ouest canadien
Mise en contexte de la conférence
Les 29 et 30 octobre 2022, les communautés théâtrale et universitaire se sont réunies à Saskatoon pour articuler, par de multiples moyens d’expression, diverses interprétations des thèmes évoqués par le titre même de la conférence, Identités marginalisées, diversité et esprit d’inclusion dans le théâtre de l’Ouest canadien. Ce numéro spécial de À ciel ouvert, offre à la communauté littéraire une trace archivistique de cet important événement. Vous découvrirez sept pièces inédites lues lors de la conférence, dont cinq ont été présentées sur la scène de La Troupe du Jour et sont accompagnées de vidéos tournées par Joshua Vogt.
Bien que les francophones en Saskatchewan se démarquent par une identité singulière exprimée par le gentilé « Fransaskois·e », un bref regard sur leur histoire et leur démographie actuelle suffit de révéler qu’ils ne sont pas, et n’ont jamais été, un groupe homogène. Le passé, le présent et l’avenir de la Fransaskoisie sont sujets à une réinterprétation constante, et nous réitérons que la (re)construction continuelle de l’identité fransaskoise est basée en partie sur des pratiques culturelles comme le théâtre. Afin d’analyser les frontières qui sont établies et brisées à l’intérieur et à l’entour d’une minorité linguistique par le biais de virtualités littéraires et théâtrales, notre première démarche pour ce vaste projet de recherche participative a été d’approcher la communauté littéraire et théâtrale pour obtenir une vue de l’intérieur.
Dans nos efforts de rayonnement et d’engagement communautaire, nous avons pu nous associer très tôt à La Troupe du Jour, à son Cercle des écrivains ainsi qu’à la revue À ciel ouvert dans le cadre de partenariats fructueux qui continuent aujourd’hui. Seule compagnie professionnelle de théâtre en Saskatchewan à offrir une programmation annuelle entièrement en français, La Troupe du Jour met un point d’honneur à soutenir la création littéraire dans notre province. Sous son patronage, le Cercle des écrivains constitue un espace où les écrivain·e·s de différentes communautés francophones peuvent s’accompagner dans leur cheminement créatif, renforçant ainsi la vitalité du théâtre dans la province. Cette initiative répond avant tout à la mission artistique de La Troupe du Jour qui s’efforce de présenter de nouvelles œuvres théâtrales créées par des dramaturges fransaskois·es.
La genèse d’une conférence nationale
Avec nos partenaires à nos côtés, nous avons commencé à planifier une conférence nationale pour réunir le monde universitaire et les communautés francophones de l’Ouest canadien. Nous avons sollicité les dramaturges francophones dans notre province pour créer de courtes pièces qui mettent en évidence l’évolution démographique de la communauté saskatchewanaise et qui s’inscrivent dans la vision de La Troupe du Jour de diversifier son public. Les auteur·e·s du Cercle des écrivains et de la communauté élargie ont répondu avec l’enthousiasme et l’habileté que nous attendons du dynamisme du théâtre fransaskois. Leurs œuvres ont proposé des thèmes et des personnages qui évoquent la quête de soi et la marginalisation que partagent de multiples groupes et individus francophones de la province. Afin d’impliquer la communauté académique, nous avons lancé, parallèlement au volet créatif, un appel à communications savantes dans divers domaines d’études, et les propositions reçues ont été évaluées par un comité d’examen par les pairs.
Dans l’intention d’offrir aux écrivain·e·s un forum supplémentaire au cours duquel certaines de leurs nouvelles pièces pourraient être mises en lecture par des acteurs et actrices de la Troupe du Jour et d’Unithéâtre, nous avons organisé une soirée théâtrale le 28 mai 2022, quelques mois avant la conférence même. Cet évènement a été jumelé avec des lectures de certaines œuvres créées par les membres du Cercle des écrivains, mais qui sortaient des thèmes de la conférence. Ce moment représentait aussi le premier rassemblement en personne organisé par le CEPF depuis le début de la pandémie mondiale en 2020, et La Troupe du Jour nous a généreusement accordé l’utilisation de ses locaux. Au plaisir de se revoir enfin en personne s’est ajoutée l’exaltation de la communauté pour le théâtre fransaskois en écoutant des histoires qui ont suscité toute une gamme d’émotions. Après avoir goûté au théâtre inclusif sur la scène de La Troupe du Jour, nous avons pu prendre notre élan pour les derniers préparatifs de la grande conférence du mois d’octobre.
Manifestations théâtrales et érudites
Cette conférence de deux jours s’est voulue un moment privilégié combinant théâtre et dialogue communauté-universitaires sur les thèmes évoqués par le titre. La première journée a été consacrée à la mise en lecture sur la scène de La Troupe du Jour des cinq pièces inédites des écrivain·e·s fransaskois·es ci-après :
De l’origine des espèces de David Baudemont, une pièce qui examine la vie de cinq passagers à bord du HMS Beagle lors de sa célèbre expédition;
Je m’identifie de Mike Bowden, qui traite de la question d’identité sexuelle et de genre à travers le protagoniste nommé Vide;
Coffee at the “Regrette rien” cafe d’Yvette Nolan, qui se penche sur l’aliénation et la perte des repères identitaires, linguistiques et culturels du peuple Métis;
Entre ! de Rémi Labrecque, un monologue inspiré de la vie de l’auteur, qui relate le passage de ce dernier d’une minorité linguistique fière à sa contrepartie majoritaire assez insécure;
En attendant le train d’Estelle Bonetto qui explore les questions d’ordre identitaire, linguistique et culturel; enfin,
Entre mers et danses de Marie-Diane Clarke, une pièce multiculturelle avec six personnages féminins qui parlent de desserts, de danses, de leurs cultures, de leurs souvenirs d’enfance, de leurs tragédies et de leurs passions.
La deuxième journée a connu deux articulations principales, notamment trois communications et cinq tables rondes. La première présentation, délivrée par Sandrine Duval de l’Université McGill, portait sur L’affirmation de l’identité minoritaire francophone chez Josée Thibeault dans La Fille du facteur. La deuxième, présentée par Alexandre Gauthier de l’Université d’Ottawa, a examiné Le retour de la fille-mère prodigue dans Flush, de Marie-Claire Marcotte. La troisième, L’Unithéâtre d’Edmonton et la représentation des minorités ethnolinguistiques : bilan et perspectives, a été donnée par Sathya Rao de l’Université de l’Alberta.
Table ronde sur Le théâtre queer en Saskatchewan : espaces physiques et discursifs pour l’expression de genres et de sexualités minoritaires
De gauche à droite : Guy Michaud, Mike Bowden et Jeffrey Klassen (animateur).
La première table ronde, « Jouir du reflet de ce qu’on était » : La grande histoire du théâtre fransaskois et ses prochains projets, co-modérée par Henri Biahé, Marie-Diane Clarke et Jeffrey Klassen, a consisté en une conversation entre d’une part les directeurs théâtraux de la Saskatchewan Gabriel Gosselin, Bruce McKay et Denis Rouleau (La Troupe du Jour de Saskatoon), et d’autre part Laurier Gareau et Guy Michaud (Oskana de Regina).
Animée par Marie-Diane Clarke, la deuxième table ronde, Écriture thérapeutique et cathartique face à l’exclusion institutionnelle, offrait un échange et un partage d’expériences entre David Baudemont, Jean-Marie Michaud et Daniel MacDonald.
Modérée par Bruce Mckay, la troisième a donné lieu à un dialogue entre les autrices Marie-Diane Clarke et Yvette Nolan sur le thème Entre mers et danses et Coffee at the « Regrette rien » Cafe : Les défis de l’écriture inclusive.
Table ronde Vers un théâtre plus inclusif : la représentation des personnages et des histoires des diasporas africaines en Saskatchewan
De gauche à droite : Mamadou Bah, Henri Biahé (animateur) et David Baudemont.
La quatrième, dirigée par Jeffrey Klassen, avec comme intervenants les hommes de théâtre Mike Bowden, Guy Michaud et Denis Rouleau, portait sur Le théâtre queer en Saskatchewan : espaces physiques et discursifs pour l’expression de genres et de sexualités minoritaires.
Enfin, la dernière table ronde, animée par Henri Biahé et intitulée Vers un théâtre plus inclusif : la représentation des personnages et des histoires des diasporas africaines en Saskatchewan a permis aux écrivains fransaskois David Baudemont et Mamadou Bah de se pencher sur cette question qui reflète une plus grande présence de la communauté noire. Cette table ronde a également donné lieu à une mise en lecture de Fière francophone de Mamadou Bah, une pièce inédite qui relate le combat de deux Fransaskoises dans le contexte d’une consolidation identitaire du cheminement scolaire francophone dans un contexte minoritaire, et qui paraît également dans ce numéro.
Le CEPF : Un travail de recherche-création communautaire
Équipe du CEPF
De gauche à droite : Jeffrey Klassen, Chantale Cenerini, Marie-Diane Clarke et Henri Biahé
Créé en février 2020, le Collectif d’études partenariales de la Fransaskoisie (CEPF) s’investit dans la relation entre l’université et la communauté, croyant fermement aux nombreux avantages possibles que chacun pourrait apporter à l’autre.
Cofondé par trois chercheur·e·s de l’Université de la Saskatchewan et de St Thomas More College – Henri Biahé, Marie-Diane Clarke et Jeffrey Klassen – le CEPF a une vision large et profonde à long terme. Nous adhérons à une méthodologie participative dans laquelle la relation entre chercheur·e et communauté est définie par un dialogue ouvert et qui, en fin de compte, cible les personnes qui ont un plus grand besoin de se faire entendre. Depuis l’ajout du poste de vice-présidente en 2021, désormais occupé par Chantale Cenerini, notre champ collectif de recherche se concentre sur de multiples questions d’identité et de diversité au sein d’une minorité linguistique. Qu’il s’agisse d’une approche littéraire, linguistique ou traductologique, nous avons l’intention dans notre recherche de faire sortir des marges les histoires et les expériences sous-représentées. Notre équipe occupe des postes au sein du Département des Langues, Littératures et Études culturelles et du Département de linguistique de l’Université de la Saskatchewan et de St Thomas More College, et nous bénéficions périodiquement du financement accordé par l’Université de la Saskatchewan et l’Acfas (Association francophone pour le savoir).
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