À ciel ouvert - 8

Sébastien Rock
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De la supercherie

Sébastien Rock

 

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Illustration: David Baudemont
Note de l’auteur :

Cette réflexion est née d’un constat. La vie ne nous appartient pas. Elle nous a été léguée et nous la rendrons en même temps que notre dernier souffle.

Entre ces deux serre-livres, nous partageons ce rêve commun que nous appelons la réalité.

Par nos apprentissages, nos jeux et nos plans d’avenir, nous avons l’impression de construire ensemble cet espace-temps où nous nous trouvions il y a quelques instants et où nous espérons nous retrouver dans un avenir rapproché. Ce n’est que supercherie.

Ce texte est un extrait d’une réflexion plus grande sur le thème de la supercherie, cette bête hideuse et multiple qui se régénère sans cesse, cette Hydre de Lerne, et qui est la véritable geôlière de notre existence. Dans sa version intégrale, on y traite des grands moyens par lesquels la grande supercherie conserve son emprise sur nos vies, comme l’illusion de la permanence, la promesse des relations interpersonnelles et les écueils de l’avoir et de l’être.

Nous résumerons ici les deux formes de conscience modelées par la grande supercherie et la nécessité de la vérité, ce Hercule mythique, qui nous donne l’espoir d’abattre le monstre qu’est la grande supercherie.

 


Des supercheurs

 

Le supercheur est à la supercherie ce que le tricheur est à la tricherie.

On dira donc de celui qui opère une supercherie qu’il est un supercheur. De même qu’il y a autant de tricheuses que de tricheurs dans le monde, on dira également que le féminin d’un supercheur est une supercheuse, comme le féminin de tricheur est tricheuse. Autant de personnes impliquées dans la grande supercherie, autant de supercheurs.

Il existe deux grandes catégories de supercheurs : les supercheurs conscients et les supercheurs inconscients. Définition subjective s’il en est puisque 1° le mot supercheur ne vient qu’à l’instant d’être posé et 2° cette division est complètement arbitraire. Nous aurions pu dire qu’il y a deux grandes catégories physiologiques de supercheurs sur la planète : les gros supercheurs et les petits supercheurs ou encore, plus idéologique, deux grandes catégories de supercheurs sur la planète : les supercheurs dépourvus et les supercheurs parvenus.  Comme nous aurions pu dire qu’il y a deux grandes catégories esthétiques de supercheurs sur la planète : les beaux supercheurs et les laids.

Nous conserverons les deux catégories tournant autour de l’axe de la conscience, conscience et inconscience et conscience et inconscience ad vitam aeternam. Parce que sans la première, nous ne pourrions pas poursuivre cet exercice, et que sans la seconde, il n’y aurait plus de première. Sans l’inconscience, nous serions tous conscients et il n’y aurait plus de supercherie, et cet exercice deviendrait encore plus futile qu’il ne semble l’être. Entendre le rire de l’Hydre.

Les supercheurs inconscients

Les supercheurs insconscients sont plus que les supercheurs conscients. Sont plus quoi ? Sont plus, tout court. Dans le sens qu’ils ont moins. Et quand on a moins, on est plus. Les supercheurs inconscients sont plus qu’ils n’ont.

Alors que sont-ils ? Des consommateurs, bien entendu. Le supercheur inconscient est l’eau au moulin de la supercherie, son vent dans les voiles, son sable bitumineux, son gaz de schiste, son uranium. Le supercheur inconscient est sous le joug de Mc Café, Walmart et Shell. Il est la bête sans blême, une vie sacrifiée dans les flammes de l’Hydre.

Qui plus est, il est lié au supercheur conscient par un lien phagique. Le supercheur inconscient aspire au titre d’expert-consommateur, et pour ce faire, il doit être consommé pour maintenir le supercheur conscient en vie. Sa vie c’est d’être consommé par la grande supercherie, par le truchement du supercheur conscient.

Et à quoi ressemble le supercheur conscient ?

Le supercheur conscient

Le supercheur conscient jubile. Il positionne les satellites et télécommande les coups. Il se fait magna, se boit magnum, reçoit à l’ambassade et se fait élire à distance.

Il récite les textes sacrés de la performance et sacrifie du capital inconscient pour apaiser le courroux de la croissance des têtes de l’Hydre.

Il a. Il a beaucoup. Il a plus qu’il n’est. Et quand il est, il a conscience d’avoir son rôle à jouer comme supercheur. Il nourrit le supercheur inconscient de faits alternatifs, trop vides pour être mythes.

Il organise les données, préparer les concepts, rédige des bilans, investit dans les entreprises de développement les plus sophistiquées ; voilà de riches prospects pour le supercheur conscient. Repousser les limites de vitesse de la grande supercherie. Plus vite, plus haut, plus fort, à travers les nano-secondes et les multi-réseaux.

SOS morale

Lorsque Hercule coupa une tête de l’Hydre, plusieurs têtes poussèrent à sa place. Après coup, il se mit à cautériser chacune des plaies infligées, avant que les têtes ne repoussent. C’est ainsi qu’il put, à l’aide de son neveu Iolaos, s’en prendre à la tête mère et vaincre la bête.

En tant que supercheurs, notre chance de détruire l’Hydre réside dans la cautérisation des plaies que nous infligerons aux têtes de l’Hydre.

Et comment nous y prendrons-nous ?

À l’aide de la morale.

Dangereuse, la morale est une lame à double tranchant dans la lutte contre la supercherie. Autant le manque de morale plait à la grande supercherie en la nourrissant d’actes plus égoïstes uns que les autres, sorte d’engrais pour les têtes de l’Hydre, autant la présence de la morale déplaît à l’Hydre, car la morale nous permet de donner un sens à la vie, autre que celui que nous donne la supercherie.

Bien que dangereuse, cette morale demeure notre meilleure chance pour vaincre la reine de l’illusion.

Et que s’abstiennent ceux qui pensent que tout ce que nous faisons ici est de faire la morale ; n’est-il pas autrement moralisateur de dire à autrui qu’il fait la morale à autrui ?

Super supercheur

Le bon, le beau, le vrai, disait Platon, super supercheur conscient.

De ces trois notions, nous dirons que le vrai est l’arme la plus efficace pour nous permettre de couper la tête mère de l’Hydre. La force du bon et du beau est discutée plus en profondeur dans la version intégrale de cette présentation.

Le vrai

Dans le sens de ce qui n’est pas faux et qui n’est pas, donc, de la supercherie.

Nous soumettons que le vrai, des trois grandes notions mentionnées plus haut, est celle qui jette la lumière la plus forte sur la grande supercherie. Le vrai dévoile et le vrai brûle, cautérise. Le vrai expose la grande supercherie. En effet, à bien chercher la vérité, on finit par rendre la supercherie bien seule et vulnérable. Une toute petite emprise de rien du tout, qui n’a plus de place où aller. Une tête sous le rocher, pétrifiée.

Le vrai est confortablement installé au volant et c’est à nous de suivre les panneaux en cours de route. Le beau, allongé à l’arrière, s’attarde aux paysages en cours de route. Et le bon, lui, assis sur le siège du passager, attend le signal du vrai. C’est Iolaos, le neveu d’Hercule, qui attend les consignes de ce dernier pour cautériser les têtes secondaires en attendant qu’Hercule, le vrai, assène le coup fatal.

Hercule

Le vrai est l’ultime adversaire de la grande supercherie, l’Hercule de l’Hydre, car lui seul est assez ingénieux pour cacher la dernière tête et la pétrifier.

Le problème est que nous, en tant que supercheurs, nous nous réclamions tous de la force, et de l’ingéniosité, et donc de la vérité d’Hercule. À tel point que nous ne savons plus qui est l’Hercule et l’Iolaos de qui, quels sont les travaux qu’on nous a demandé d’accomplir et qui nous en a donné le mandat.

Mais peu importe, direz-vous. Toute vérité n’est-elle pas subjective, relative ? Tout le monde sait que les vérités n’existent plus que dans nos têtes ! Ta vérité est aussi bonne que la mienne. De plus, les vérités sont dangereuses car absolues et il n’y a absolument plus d’absolus !

Vous aurez compris : cette auto contradiction est en fait un signe absolument absolu de la grande supercherie.

Conclusion

D’où nous vient le besoin du vrai ? Immanence éternelle, consensus sociétal ? Un mélange des deux ?

En attendant de comprendre d’où nous vient cette force authentique du vrai (et si c’était une autre fabrication de l’Hydre ?), nous continuons à souffrir de la tyrannie d’un relativisme post-factuel, un autre synonyme bien contemporain de la supercherie. Il contorsionne la vérité comme les têtes de l’Hydre se meuvent et il cautionne l’impunité dont bénéficient certains de nos supercheurs élus, qui profitent à la vue de tous d’un émoussement du vrai.

À moins que nous ne retrouvions nos traces, reprenions le volant, refissions campagne avec Hercule et que nous pétrifions avec lui la tête immortelle de l’Hydre de Lerne.

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Les artisans de ce numéro

Comité de rédaction :
Jeffrey Klassen, Marie-Diane Clarke, Henri Biahé, David Baudemont, Jean-Pierre Picard, Mychèle Fortin

Auteurs :

  • David Baudemont 
  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Marie-Diane Clarke
  • Michel Clément
  • Mychèle Fortin
  • Ousmane Ilbo Mahamane
  • Marie-Andrée Nantel
  • Sharon Pulvermacher
  • Jocelyne Verret

Illustrations :

  • David Baudemont
  • Madeleine Blais-Dahlem
  • Aelwen Clément
  • Marylène Portaneri
  • Sharon Pulvermacher

Mise en page du numéro pdf et mise en ligne : Jean-Pierre Picard

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