je me cache
du fond de la Rouge
je reste à la surface grise
mouvementée après la fonte
emportant les déchets
jetés là
par des insouciants
je me cache
des plis boueux de la terre
sous les plis mous de ma mère
qui oppressent
me retiennent
m’ancrent dans la détresse
je me cache
de ma terre natale
dont je ne vois pas les racines,
mais à laquelle je m’accroche
faute de mieux
les graines amères semées
d’un champ à l’autre
je me cache
des plaines immenses
mon centre
nu
mes confins
des traits
minces et fragiles
je me cache
des horizons infinis
qui me poussent à aller
trop loin
vers des terres sauvages
je me cache
de mes origines métisses
ce sang mêlé
de la Rouge et de l’Assiniboine
mêlé de confusion
de honte
je me cache
de mon franglais
à la recherche
des mots justes
tandis que ceux de ma mère
passent entre les lames
des grands vents de prairie
je me cache
de l’aridité de mon enfance
de la violence de mes émotions
sous la peur qui enfle
au fur et à mesure
que j’avance
à petits pas
pourtant je reste
au même endroit
je me cache
de la rue Marion
de la rue Des Meurons
du boulevard Provencher
de l’avenue Taché
ce carré devenu spirale
au cœur
tantôt tendre
tantôt cruel
je me cache
derrière les manquements
de ma mère
de mon père
derrière les gifles les cris les injures
les blessures qui perdurent
le pardon qui vient
si lentement
je me cache
sous ma soif de connaissances
ma soif de reconnaissance
sans savoir comment m’y prendre
mon parcours truffé
de fautes de maladresses de regrets
je me cache
au bord flou
d’un terrain de jeu
pour vous observer
vos existences entrelacées
au sein d’une communauté
qui n’est pas la mienne
qui ne l’a jamais été
le vent ébouriffe mes cheveux
fouette mon corps
glace mon âme
la rivière me convoque
cache-toi
cache-toi
cache-toi
susurre l’écho
entre deux crues
Entre 2008 et 2018, Louise Dandeneau a publié des nouvelles dans Virages (Ontario) et les Cahiers franco-canadiens de l’Ouest (Manitoba), une nouvelle dans le collectif Sillons – hommage à Gabrielle Roy chez les Éditions du Blé en 2009, et trois micronouvelles dans le collectif Bref! chez les Éditions du Blé en 2017. Son premier recueil, Les quatre commères de la rue des Ormes, a paru chez les Éditions du Blé en 2016. Elle est aussi poète de haïkus. Ses haïkus ont paru dans les collectifs Dans la forêt lointaine en 2019 et Secrets de femmes en 2018, les deux chez les Éditions Pippa (Paris), ainsi que dans le collectif Sur une même écorce en 2014 chez les Éditions David (Ottawa).
Louise Dandeneau est également photographe.