À ciel ouvert 12 — Printemps / Été 2024

L’endroit idéal pour grandir

Zoong Nguyên (Alberta)

Quand j’étais petite fille, mon grand-père paternel nous racontait, à mes frères, mes sœurs et moi, des contes lorsque nous allions le visiter. J’admirais mon grand-père et j’appréciais particulièrement un conte que je veux vous raconter maintenant.

Il était une fois une jeune femme veuve, accompagnée de son fils âgé de six ans. Itinérants et sans-abri, ils erraient de village en village à la recherche de travail et de nourriture, mendiant auprès des habitants et cherchant un endroit pour se reposer. Ils dormaient dans la rue, sous les ponts, dans les ruelles ou près des décharges. Leur quotidien changeait sans cesse, et ils perdaient souvent leurs repères. Il leur arrivait fréquemment de se coucher le ventre vide, la mère tentant de réconforter son fils en lui promettant que le lendemain serait meilleur.

Un jour, alors qu’ils passaient par le marché du village, la mère trouva un petit abri couvert près de la boulangerie. Elle espérait pouvoir s’y installer plus longtemps avec son fils, si les commerçants ne les chassaient pas. Tous les matins quand les gens du village venaient au marché faire leurs emplettes, le petit garçon voyait des vendeurs attirant à haute voix les clients à leur stand, il entendait les gens marchander les prix. Quatre-vingt-cinq sous le kilo de choux, trente sous le kilo de pomme de terre... Les clients marchandaient les prix... soixante-dix sous pour le chou? Et vingt sous pour les pommes de terre? Alors un demi-kilo de tomates et un demi-kilo de poivrons, madame?

Le soir, lorsque le marché fermait, la mère trouvait de la nourriture dans les poubelles, qu’elle partageait avec son fils. Pendant quelques jours, leur vie sembla plus stable. Cependant, le petit garçon répétait à sa mère tout ce qu’il avait entendu au marché, les cris, les prix, des commérages du village. Sa mère était bien découragée de voir ce que son fils apprenait durant sa journée. Elle décida alors de chercher un autre endroit.

Près du cimetière du village se trouvait une hutte abandonnée, un endroit tranquille. La mère emmena son fils s’y installer. Chaque matin, elle partait mendier de la nourriture au village ou au marché, laissant son fils seul au cimetière. Il voyait alors des enterrements où les gens pleuraient. Le soir, au retour de sa mère, il imitait les pleurs qu’il avait entendus toute la journée. C’était tellement triste que sa mère décida de partir à nouveau, de trouver une nouvelle place où s’installer. Leur « géographie » n’était toujours pas idéale.

Après quelques nuits passées sous un pont, ils se dirigèrent vers une petite école tout près. Dans un coin de la cour, la mère pensa qu’ils pourraient rester un moment, car personne n’occupait l’école le soir. Ils y passèrent une bonne nuit. Le lendemain matin, la mère partit comme d’habitude chercher de la nourriture, laissant son fils dans la cour de l’école. Pour la première fois, il vit de nombreux enfants de son âge heureux de jouer ensemble pendant la récréation. Curieux de nature, il s’approcha de la fenêtre de la classe pour observer ce que les enfants faisaient à l’intérieur. Il vit les enfants apprendre à chanter, à lire, à écrire, à compter et à danser. Le soir, lorsque sa mère revint avec de la nourriture, il lui raconta joyeusement tout ce qu’il avait vu et entendu à l’école, les noms des élèves, les comptines, les chansons, l’alphabet, et ils rirent ensemble, heureux. 

La mère comprit alors que c’était là qu’ils avaient trouvé leur endroit idéal sur la carte du monde.

À vol d'oiseau

À vol d'oiseau

Virginie Hamel (2024)

Zoong Nguyên

Zoong Nguyên

Zoong Nguyên est d’origine vietnamienne, elle a grandi à Montréal et a déménagé à Calgary en 2005. Zoong est peintre et elle prend le goût de l’écriture durant la Covid.

Article précédent Le Géographe du Cœur
Prochain article D’une toundra à une autre
Imprimer
103
RAFA-ACO-10-2023
Séduction à Vancouver
Cabaret littéraire 6 octobre 2024
Lancement de Le musée des objets perdus

Créations

La Factory La Factory

Autofiction. Trois Franco-Manitobains visitent la Factory d'Andy Warhol à New York en 1973.

Chouette Chouette

Une jeune femme tente de se situer dans son environnement. La géographie de son histoire la pousse à explorer les confins de son humanité. Sur la carte de son existence, elle découvrira une bestialité insoupçonnée et libératrice. 

La géographie des chances La géographie des chances

Un poème sur l'opposition ancestrale du nomade et du sédentaire. Nomadisme et sédentarité du corps et de l'esprit. Passion et symbolique de la carte, ses diverses sémantiques, puis son anagramme, liée au mouvement. Recherche des racines de l'auteur, regard sur ses nombreux voyages, dont celui de l'écriture. 
 

Le sanctuaire Le sanctuaire

A la pointe extrême du continent, au bord du Pacifique, dans un écrin de verdure, se cache un petit village dénommé Klahamin (le sanctuaire). Malgré son nom rassurant, et son décor ensorcelant, c'est le lieu de plusieurs catastrophes. Depuis l'époque de la ruée vers l'or, jusqu'à nos jours, en passant par le règne du Flower Power, ses habitants successifs n'ont pas eu de chance. La narratrice et son amoureux non plus. 

je me cache je me cache

Un poème écrit pendant la pandémie, pendant une période où des pensées sombres m'envahissaient, où je cherchais ma place. Texte encore pertinent aujourd'hui.
 

Géographie personnelle Géographie personnelle

Ce texte rend hommage à mon pays d’accueil pour tout ce qu’il m’a donné depuis mon arrivée. Les cartes aériennes sont devenues ma passion, puis les cartes de toute nature. 
 

Le peuple du train Le peuple du train

Récit d’un voyage en train à travers le Canada où les rencontres avec les passagers, le défilement des paysages et les arrêts en gare se fondent en un voyage intemporel.
 

D’une toundra à une autre D’une toundra à une autre

Ce texte évoque les défis qui nous habitent lorsque l'on vit dans les zones reculées et souvent inhospitalières du Nord. Sans la connexion à la nature, l'importance de la communauté et la confrontation avec soi-même, il serait difficile d'y vivre et d'y prospérer.  J'ai tenté de capturer la dualité de ces lieux extrêmes, où la beauté et la fragilité se mêlent dans un équilibre délicat.

L’endroit idéal pour grandir L’endroit idéal pour grandir

Un beau souvenir de la tendre enfance que j’ai vécue au Viêt Nam entourée de mes quatre grands-parents paternels et maternels. 

Lettres du chemin (extrait) Lettres du chemin (extrait)

Lettres du chemin s’alimente de deux éléments : la réalisation d’un pèlerinage vers Saint-Jacques-de-Compostelle, via le Camino Francés, et un abécédaire de termes scientifiques et leurs définitions préparé par Evan Taylor-Fontaine. Les poèmes de Marie Carrière, parcourent des soucis écologiques aux confluents de l’expérience du tourisme, de la consommation, de la laïcité, du temps et du langage scientifique en poésie. 

Micronouvelles Micronouvelles

Pour rendre hommage à notre ami et collègue Ian, décédé le 1er février 2024, nous vous offrons ces micronouvelles provenant de son livre Contes bleus à encre économe publié aux Éditions de la nouvelle plume

No content

A problem occurred while loading content.

Previous Next

  

À ciel ouvert numéro 12

Téléchargez gratuitement la version PDF du numéro 12 d'À ciel ouvert.

Bonne lecture!


 

Les artisans de ce numéro

Coordination de la publication :
Jeffrey Klassen

Comité de rédaction :

  • Marie-Diane Clarke
  • Tania Duclos
  • Mychèle Fortin
  • Lyne Gareau
  • Jeffrey Klassen
  • Jean-Pierre Picard

Auteur·e·s :

  • Serge Ben Nathan (C.-B.)
  • Joëlle Boily (C.-B.)
  • Marie Carrière (AB)
  • Louise Dandeneau (MB)
  • Mélanie Fossourier (C.-B.)
  • ioleda (YK)
  • Amélie Kenny Robichaud (YK)
  • J. R. Léveillé (MB)
  • Gaël Marchand (YK)
  • Zoong Nguyên (AB)
  • Seream (MB)
  • Michèle Smolkin (C.-B.)

 

Artiste invitée :
Virginie Hamel
virginiehamel.com

Mise en page et mise en ligne :
Jean-Pierre Picard

Merci à l’Association des auteur·e·s du Manitoba français qui a piloté l’organisation du Concours de création littéraire de l’Ouest et du Nord canadiens (CCLONC).

La revue À ciel ouvert est publiée et diffusée par :

Coopérative des publications fransaskoises

en partenariat avec

Collectif d'études partenariats de la FransaskoisieRegroupement des écrivains·e·s du Nord et de l'Ouest canadiens


Merci à nos commanditaires:

    Conseil culturel fransaskois   Saskculture Fondation fransaskoiseGouvernement du Canada